Le Temps d'aimer

De Cinéann.

Le Temps d'aimer , film français et belge de Katell Quillévéré, sorti en 2023

Analyse critique

Madeleine a été tondue à la Libération pour avoir fréquenté un officier allemand dont elle s'est retrouvée enceinte. Les images authentiques qui ouvrent le film, celles de femmes françaises tondues, déshabillées, molestées en public et recouvertes de croix gammées à la Libération sont bouleversantes, tant elles interrogent la possibilité d’une vie après un tel traitement. En 1947, Madeleine fait partie de ces femmes qui furent dénoncées après une liaison avec un militaire allemand. Sur une plage bretonne, cette mère célibataire d’un petit garçon, devenue serveuse dans un hôtel-restaurant, fait la connaissance de François , fils d’un riche industriel et étudiant insaisissable, qu’une légère séquelle de la polio singularise encore. Tous deux ont envie d’oubli et de renouveau et chacun(e) croit les trouver en l’autre, même si des secrets menacent leur affinité instantanée.

Katell Quillévéré a le goût du feuilleton et des jeux subtils avec la narration. Elle crée une arythmie palpitante, s’attarde voluptueusement sur certains moments, puis escamote des saisons et des années, voire des décennies. C'est un scénario original et séduisant, qui échappe aux filiations trop repérables. Comme si le cinéma classique, en l’occurrence historique et romanesque, était soudain débarrassé des tabous d’antan. La place de la sexualité, vécue ou non, est abordée frontalement, au même titre que les autres dimensions de l’existence.

Devenus gérants d’un dancing près d’une base militaire américaine, Madeleine et François se retrouvent ainsi, au terme d’une soirée d’ivresse, avec un G.I. dans leur lit. Un homme noir sculptural et affectueux, qu’ils désirent tous les deux. Cette scène érotique et imprévisible condense le récit et préfigure des épisodes tardifs montrant François en amant tourmenté et clandestin, dans le Paris des années 1970, où l’homosexualité est encore un délit. Et Madeleine frustrée, mais invaincue à sa manière.

Au-delà de leurs particularités, les deux époux du film invitent à une réflexion sur le couple, dépeint comme une entité à mi-chemin entre le malentendu et le miracle, et dont le film ne cesse d’agrandir la définition et l’horizon. L’aventure au long cours de Madeleine et François, leur traversée à deux des époques et des âges reposent sur des déceptions et des trahisons, qui, une fois surmontées, renforcent encore leurs liens, construisent une solidarité puissante, indéfectible. Leur alliance ne cesse de se recomposer, quand bien même leurs désirs divergent.

Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste incarnent ces complexités avec panache. Lui dévoile plus que jamais une fragilité lunaire et émouvante. Elle, jusqu’à une poignante scène au miroir, comme en écho à sa première apparition, ose s’avancer sans le soutien de sa fantaisie naturelle, pour atteindre la transfiguration.

Katell Quillévéré déclare : « C'est une saga familiale sur deux générations après la Seconde guerre mondiale. Le point de départ est auto-biographique , ma grand-mère a eu une relation avec un soldat allemand, lorsqu'elle avait 17 ans pendant l’Occupation, avant de tomber enceinte, devenir mère célibataire et rencontrer un autre homme, mon grand-père, 4 ans plus tard, sur une plage en Bretagne. Tout le reste du film est totalement fictionné, loin de mon histoire familiale. Nous avons inventé et écrit cette histoire avec Gilles Taurand.
Ce qui est intéressant avec les années 1950, c’est qu’il s’agit d’une époque d’après-guerre durant laquelle les gens avaient tous des blessures secrètes. Ils étaient hantés par la mort et par les regrets. C’est une époque qui est très riche en matière de fiction. Mais c’est aussi une époque qui était très corsetée, très puritaine. C’est une sorte d’écrin révélateur pour les problématiques qui sont celles du film : le mensonge, la honte, l’amour et la sexualité. Le film a été pensé comme un dialogue entre le passé et le présent.
 »

Distribution

  • Anaïs Demoustier : Madeleine Delambre, née Villedieu
  • Vincent Lacoste : François Delambre
  • Morgan Bailey : Jimmy, le GI
  • Paul Beaurepaire : Daniel, 18 ans

Fiche technique

  • Réalisation : Katell Quillévéré
  • Scénario : Katell Quillévéré et Gilles Taurand
  • Musique : Amine Bouhafa
  • Photographie : Tom Harari
  • Montage : Jean-Baptiste Morin
  • Sociétés de production : Les Films du Bélier, Les Films Pelléas et Frakas Productions ; France 2 Cinéma et Frakas Productions
  • Durée : 125 minutes
  • Dates de sortie : 20 mai 2023 (Festival de Cannes 2023, section "Cannes Premières" )
    • 29 novembre 2023 (sortie nationale)
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