Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait

De Cinéann.

Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait , film français de Emmanuel Mouret, sorti en 2020

Analyse critique

Pour se remettre d’une rupture douloureuse et tenter d’écrire son premier roman, Maxime vient passer quelques jours dans la villa provençale de son cousin François. Retenu à la dernière minute à Paris, ce dernier a chargé son épouse enceinte, Daphné, de distraire leur invité. Au fil des visites des villages du Luberon, l’homme blessé et la femme mariée apprennent à faire connaissance et chacun entreprend de raconter à l’autre, dans un subtil jeu de confidences et de séduction, comment il en est arrivé où il en est.

Irrémédiablement attirés l’un vers l’autre au fur et à mesure qu’ils dévoilent leur intimité et leur passé, Maxime et Daphné appartiennent à la famille des amoureux malheureux, trop entiers, trop romantiques pour oser déclarer leur flamme. Tous deux ont souffert d’aimer sans être payés de retour. Monteuse d’un réalisateur de documentaires institutionnels à qui elle n’a jamais réussi à avouer ses sentiments et à qui elle a même présenté une amie dont il est tombé amoureux, Daphné a fini par se laisser séduire par un homme marié. Maxime, lui, épris d’une jeune épicurienne qui refuse de se soumettre à l’ immorale dictature des rencontres par affinités, pousse malgré lui la femme de sa vie dans les bras indolents de son meilleur ami, sans jamais parvenir à lui avouer qu’il souffre éperdument de ne pas être à sa place.

Le cinéaste joue à merveille de cette poésie du rendez-vous manqué. Sans jamais juger. Le cinéma éminemment spirituel d’Emmanuel Mouret se teinte des couleurs fauves de la mélancolie. Le film n'explore pas de domaine nouveau. Il s’agit encore d’histoires de sentiments, pour reprendre l’expression du personnage principal, traducteur et romancier en herbe, qui la préfère aux réductrices histoires d’amour. Mais, par son ampleur romanesque, la complexité de sa narration et la précision de sa direction d’acteurs, le film procure un plaisir renouvelé.

Refusant de juger les faits et les gestes de ses personnages, chahutés par des sentiments dont ils se révèlent davantage les esclaves que les maîtres, le cinéaste laisse le spectateur libre de se reconnaître dans tel ou tel amoureux, sincère ou tordu, en fonction de sa propre morale. « Pour qu’il y ait faute, il faut qu’il y ait une règle bien claire, déclare l’un d’eux. Mais en amour quelle est la règle ? » L’absence de règle vaut aussi pour la narration. L’inévitable cristallisation de l’idylle impossible entre Maxime et Daphné, à laquelle on assiste au présent, se dilate jusqu’au bout, retardée par les retours en arrière successifs de leurs amours contrariées, dont ils se font les conteurs.

Outre une utilisation savoureuse de la musique classique, Emmanuel Mouret semble avoir emprunté à Woody Allen sa prodigieuse palette pour capter sans lasser les très longues séquences dialoguées qui composent l’essentiel de son film. Les traditionnels champs-contre-champs laissent souvent la place à des plans plus larges privilégiant la symétrie des paysages, de Paris ou du Luberon, sur celle des locuteurs, avec la voix off comme seul fil conducteur. A la fin, quand les protagonistes acceptent de laisser le hasard dicter leurs sentiments, on peut voir dans l’épilogue muet au milieu des sapins de Noël une réminiscence du bouleversant final sous la neige des Parapluies de Cherbourg, de Jacques Demy : quand les anciens amants, qui ont refait leur vie, constatent à côté de quoi ils sont passés, entre soulagement et résignation.

Déclarations d'Emmanuel Mouret:

Le titre évoque pour moi un des grands plaisirs du cinéma, celui qui consiste à confronter un personnage à ses paroles : fera-t-il ce qu'il a dit ? Est-il vraiment celui qu'il prétend être ? Le suspense au cinéma peut aussi être créé par la parole. C'est au spectateur de s'amuser à mesurer l'écart entre celle-ci et les actions qui suivront. La psychologie ne m'intéresse pas beaucoup au cinéma, parce qu'elle cherche à expliquer, à réduire un personnage à une définition. Il faut entendre ce titre avec un sourire aux lèvres, une tendre ironie dans l'œil. J'aimerais que ce film soit une ode à notre inconstance. À une époque où nous sommes constamment appelés à être cohérents, à mettre en rapport nos paroles et nos actes,je prends le parti de la douceur et de l'indulgence plutôt que celui de l'accusation.

Dans ce film, il n'y a pas de «méchant», tous les personnages ont de bonnes intentions. Ce refus de la confrontation rend les choses encore plus cruelles. J'ai toujours eu le sentiment qu'il y a d'autant plus de drame et de cruauté que les personnages sont scrupuleux et attentionnés, qu'ils ont de la retenue. L'homme est éduqué à tenter de garder un peu de contrôle face à la tyrannie de ses pulsions, sans quoi il menace l'ordre commun et risque d'être exclu ou déconsidéré. Je suis davantage ému par un personnage qui doit lutter contre lui-même, contre la violence de ses désirs, que par un personnage qui n'a pas de frein. Le véritable drame, c'est d'être « civilisé » et de devoir contraindre ses pulsions et désirs.

Distribution

Fiche technique

  • Réalisation et scénario: Emmanuel Mouret
  • Photographie : Laurent Desmet
  • Montage : Martial Salomon
  • Société de production : Moby Dick Films
  • Durée : 122 minutes
  • Date de sortie : 16 septembre 2020
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