Les Fantômes d'Ismaël

De Cinéann.

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Les Fantômes d'Ismaël , film français de Arnaud Desplechin, sorti en 2017

Analyse critique

Les Fantômes d’Ismaël commence comme un film d’espionnage. Des diplomates français parlent d’un certain Dedalus, dont personne ne semble savoir ce qu’il est devenu. Jeune homme brillant, surgi de nulle part un beau jour, il a enchaîné les postes diplomatiques dans les régions les plus troubles de la planète, disparaissant et réapparaissant régulièrement, sans crier gare. Serait-il un espion ? De même qu’Antoine Doinel fusionnait à l’écran les personnalités de Jean-Pierre Léaud et de François Truffaut, Dedalus fut longtemps ce personnage récurrent de l’œuvre de Desplechin incarné par son acteur fétiche, Mathieu Amalric. Il revient dans ce film doté d’un nouveau statut, celui de double fictionnel d’Ismaël, un réalisateur qui a les traits de Mathieu Amalric et dont le nouveau scénario s’inspire de la vie de son frère Ivan, un personnage joué par Louis Garrel.

Ismaël est veuf. Carlotta, sa femme, a disparu il y a vingt ans sans laisser de traces. Il a fini par la déclarer morte. Désormais amoureux de Sylvia et en proie à des cauchemars violents, il se bourre d’alcool et de médicaments pour échapper au sommeil. La nuit, il écrit, quand il ne répond pas aux appels de détresse de Bloom, le père de Carlotta, grand cinéaste juif rongé par la perte de sa fille, hanté par la mémoire de la Shoah. Alors qu’il passe quelques jours avec Sylvia dans sa maison de la côte Atlantique, Carlotta refait surface et son frêle équilibre vacille.

Les deux femmes se scrutent, se frôlent, se percutent. L'une est une astrophysicienne protestante ; l'autre se présente comme une juive renégate. Des étincelles crépitent. Les fantômes gagnent toujours sur les vivants. Sylvia s'en va. Elle laisse le champ libre à la mémoire.

Désertant le tournage de son film, Ismaël se terre dans la maison de son enfance, à Roubaix, tandis que le récit explose et voit se dédoubler, comme dans Vertigo, les reflets de ses personnages. Ceux-ci apparaissent pour ce qu’ils sont : des virtualités requalifiables à l’infini. Tout est affaire de perspective, comme le clame Ismaël en pleine crise maniaque, qui n’hésite pas à qualifier Jackson Pollock de peintre figuratif, et à considérer son tableau Lavender Mist comme une réinterprétation des Demoiselles d’Avignon.

Carlotta renvoie par son prénom à cette femme au destin tragique qui hantait Madeleine, le premier des deux personnages joués par Kim Novak dans le film d’Hitchcock Vertigo, mais elle s’est aussi fait appeler Esther à une période de sa vie, reprenant à son compte le nom de l’amoureuse de Dedalus dans Comment je me suis disputé... ("ma vie sexuelle") et Trois souvenirs de ma jeunesse. Le nom d’Ismaël, lui, renvoie au fils d’Abraham et de sa servante Agar, dont l’Ancien testament et le Coran proposent des interprétations toutes différentes.

Avec ce scénario récursif, Arnaud Desplechin réactive sa mythologie, ses personnages, son dialogue avec la Bible, Homère, Joyce, Shakespeare, sa plongée dans l’histoire de l’art, du cinéma, de la psychanalyse, des religions, en la réagençant sous une forme nouvelle, plus réflexive que jamais. Dans cet état de confusion, de trop-plein narratif s’esquisse un commentaire du processus créatif d’Arnaud Desplechin, cinéaste vampirique dont la vision se coule dans des formes empruntées à la vie de ses proches.

Distribution

  • Mathieu Amalric : Ismaël Vuillard
  • Marion Cotillard : Carlotta Bloom, l'épouse disparue d'Ismaël
  • Charlotte Gainsbourg : Sylvia, l'astrophysicienne
  • Louis Garrel : Ivan, le diplomate, rôle principal du film d'Ismaël
  • Alba Rohrwacher : Arielle / Faunia, amie d'Ivan
  • László Szabó : Bloom, le père de Carlotta
  • Hippolyte Girardot : Zwy, le producteur d'Ismaël
  • Jacques Nolot : Clairevoie
  • Catherine Mouchet : la médecin de Bloom

Fiche technique

  • Réalisation : Arnaud Desplechin
  • Scénario : Arnaud Desplechin, Léa Mysius et Julie Peyr
  • Production : Why Not Productions, France 2 Cinéma, Le Pacte et Wild Bunch
  • Musique : Grégoire Hetzel
  • Image : Irina Lubtchansky
  • Durée : 115 minutes (135 minutes version longue)
  • Date de sortie : 17 mai 2017 (Festival de Cannes 2017, film d'ouverture)
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