Les Nuits de la pleine lune

De Cinéann.

Les Nuits de la pleine lune , film français de Éric Rohmer, sorti en 1984

Analyse critique

L'action se déroule entre Lognes (ville nouvelle de Marne-la-Vallée, alors en plein développement urbain) et Paris. Quatrième volet de la série des Comédies et proverbes, Les Nuits de la pleine lune se place sous le patronage de l’adage suivant : « Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd sa raison. » Ce dicton prétendument champenois, a été en réalité inventé par Éric Rohmer.

Louise, qui vit en couple avec Rémi, décide de reprendre son studio parisien afin de pouvoir profiter pleinement de ses sorties nocturnes et avoir un pied à terre dans le centre-ville. Son compagnon voit ce choix d'un mauvais œil, persuadé que Louise tente par ce moyen de le fuir. Accompagnée d'Octave, un ami qui éprouve pour elle des sentiments ambivalents, elle fera l'expérience de ce mode de vie et en éprouvera les conséquences.

Ce film tend un ­miroir aux jeunes gens modernes, ces branchés des années 1980 écoutant Rectangle, de Jacno, lisant L’Incal et passant leurs nuits au Palace, la boîte devant laquelle Pascale Ogier, actrice principale, s’effondra, à l’âge de 25 ans (overdose et souffle au cœur), à peine trois mois après la sortie du film. Elle offre sa silhouette gracile, son teint diaphane, sa voix délicieusement ­aiguë et son excentricité non feinte. Rohmer, qui s’inspira de la vie amorale de sa jeune voisine du troisième étage : Pascale avait grandi avec sa mère, Bulle, et son beau-père, Barbet Schroeder, dans l’immeuble des Films du Losange, où Rohmer avait ses bureaux.

La lune revient à la manière d’un motif poétique. Elle inspire l’une des chansons composées par Elli et Jacno pour la bande originale du film. La pleine lune sera, aussi, matière à un étrange dialogue situé à la presque fin du film. L’on y entend un peintre , rencontré par Louise au petit matin dans un café parisien, discourir avec la jeune femme de l’astre nocturne. D’un romantisme à la fois pop et noir, la ballade rythme la courte idylle de Louise avec Bastien. On verra notamment les deux jeunes gens danser au son de cette composition, après s’être retrouvés dans une boîte au nom évocateur de 120 Nuits. À l’arrière-plan du dancefloor, Eric Rohmer prend alors le soin d’inscrire la lumière circulaire et bleutée d’un projecteur évoquant irrésistiblement le satellite terrestre. Ce dernier apparaîtra finalement dans toute sa majesté lors d’un plan à la précision astronomique donnant à voir jusqu’aux mers lunaires.

Avoir différentes existences consiste d’abord, pour Louise, à s’inscrire en autant de lieux. Les péripéties du script amènent ainsi Louise à évoluer entre deux formes distinctes d’urbanisme : l’une traditionnelle, celle du 5ème arrondissement, et l’autre post moderne de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée. Sans cesse en déplacement à travers le large périmètre de l’Île-de-France, Louise l’est aussi dans l’espace de son appartement parisien. Lorsque la jeune femme le fait visiter pour la première fois à Octave, Éric Rohmer prend prétexte du café que Louise sert à son ami pour la faire se déplacer régulièrement entre les deux espaces que sont la cuisine et le séjour. Le ballet de Louise est d’autant plus fluide que le cinéaste a veillé à ce que la porte de communication entre les pièces reste constamment ouverte. Une décision qui permet, au passage, de générer un contraste pictural de couleur entre une kitchenette blanc-cassé et un salon bleu-de-prusse, assurant ainsi à chacun de ces lieux une identité visuelle propre.

Allant de lieu en lieu, Louise va pareillement d’un personnage à l’autre. Une scène de danse des Nuits de la pleine lune le montre de manière exemplaire. La jeune femme apparaît au milieu du cadre, balançant son corps au rythme des Tarots, une autre des chansons composées par Elli et Jacno pour la B.O. Face à Louise l’on voit d’abord un Octave dont le costume-cravate accuse l’aspect quelque peu guindé, accompagnant plutôt mal son amie dans sa danse. L’homme finit par s’effacer du cadre laissant d’abord la place à une jeune femme au visage félin. Il s’agit d’Elli à qui Éric Rohmer offre, malicieusement, une apparition fugitive. Louise partage brièvement quelques pas de danse avec la chanteuse-figurante. Puis cette dernière disparaît à son tour de l’écran, ouvrant la voie à un troisième danseur, autrement plus dynamique que le compassé Octave. Il s’agit de Bastien que Louise rencontre ici pour la première fois. En moins de deux minutes la scène, tournée en plan-séquence, montre Louise changeant trois fois de partenaire, chacun contrastant fortement avec le précédent. Et Éric Rohmer délivre ainsi une évidente traduction chorégraphique de la psychologie de son héroïne dont la propension à transiter est aussi, et finalement avant tout, relationnelle.

Le proverbe, sous le patronage duquel se place le film semble pronostiquer l’inanité, et même la dangerosité de l’entreprise. Une impossibilité que viendrait, par ailleurs, sceller les dernières images du film d’une Louise en pleurs, puis s’éloignant seule dans la grisaille de Marne-la-Vallée. Et Les Nuits de la pleine lune prendrait alors la forme d’un constat d’échec quant aux utopies sociétales des années 60/70. Mais on peut voir dans l’ultime plan du film, montrant Louise prendre la route avec une manière de balluchon comme un écho à celui fameux et plein d'espoir clôturant Les Temps modernes. Aussi douloureuse soit-elle, l’expérience que vient de vivre l’héroïne lui serait profitable. Éric Rohmer conserve, comme Charlie Chaplin, quelque croyance quant à la possibilité de suivre le chemin de son choix dans le monde moderne, même cruel et imparfait.

Distribution

Fiche technique

  • Réalisation et scénario : Éric Rohmer
  • Décors et costumes : Pascale Ogier
  • Photographie : Renato Berta
  • Musique : Elli & Jacno
  • Montage : Cécile Decugis, Lisa Hérédia
  • Production : Margaret Ménégoz
  • Sociétés de production : Les Films du Losange, Les Films Ariane, Compagnie Éric Rohmer
  • Durée : 105 minutes
  • Date de sortie : 29 août 1984
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