Les Sœurs de Gion

De Cinéann.

Les Sœurs de Gion (japonais 祇園の姉妹, Gion no shimai) film japonais en noir et blanc de Kenji Mizoguchi, sorti en 1936.

Analyse critique

Le film se situe à Kyôtô, dans le quartier populaire de Gion.

Le plan-séquence d'ouverture qui place dès l'abord les personnages sous le signe des rapports d'argent. A la fin du travelling qui suit le déroulement de la vente aux enchères, un panoramique permet par un effet de superposition de cadrer le patron discutant de sa ruine avec son employé. Ils semblent seuls avec hors champs les bruits de la vente. Mais en se détournant, l'employé révèle la présence de la femme à droite qui se plaint que son mari ait dilapidé sa dot.

Deux sœurs, geishas l'une et l'autre, ont des conceptions opposées de leurs rapports avec les hommes. L'aînée, traditionnelle, est amoureuse de l'un de ses clients, Furusawa. Celui-ci a fait faillite. Abandonnant sa famille, il vit aux crochets de sa maîtresse. La cadette, Omocha, convaincue de n'être qu'un jouet entre les mains des hommes, entend leur rendre la pareille.

Appliquant sa théorie, Omocha gruge Kimura, le jeune employé d'une maison de kimonos, en abusant de l'amour qu'il lui porte. Elle le méprise et devient la maîtresse de son patron.

La situation de Furusawa se rétablit. Il retourne auprès de son épouse, donnant raison à la cadette.

Pour se venger, Kimura précipite Omocha par la portière d'un taxi en marche. La jeune femme est hospitalisée. Sa sœur la veille. Couchée sur son lit, elle crie sa rage et son impuissance : « Que vienne un monde où l'on n'ait plus besoin de geishas », gémit-elle.

Les Sœurs de Gion est le cinquième et dernier film réalisé par Mizoguchi pour la Daiichi-Eiga, compagnie de production à la création de laquelle il a été étroitement associé en 1934. Après le film précédant, L'élégie de Naniwa, Les Sœurs de Gion devait constituer le deuxième volet d'une trilogie sociale. La violence du propos déplait à La Shochiku à laquelle la Daiichi-Eiga, qui n'a ni distributeur ni exploitants confie le film. Elle sacrifie sa sortie ne le présentant que dans deux salles sans la moindre publicité. La Daiichi-Eiga fait faillite avant que le succès critique puis populaire ne couronne le film, élu film de l'année par "Hinema juko" la grande revue de cinéma de l'époque.

Le film est largement inspiré de l'expérience persommelle de Mizoguchi. Son père, un ancien charpentier, est violent envers sa mère et sa sœur qu'il vend comme geisha. Mizoguchi est le témoin de la vente de sa soeur par son père. Devenue geisha à quatorze ans puis maîtresse officielle d’un noble, elle l'aide financièrement pour ses études. Cet épisode a une grande influence sur l’orientation d’une œuvre qui se compose principalement de drames fondés sur la situation de la femme, femme de haut rang brimée par la société, geisha, servante ou prostituée.

Les sœurs de Gion marque une étape importante dans la carrière de Mizoguchi. Comme dans L'Elégie de Naniwa, nous ne sommes pas dans la tendance lyrique, mélodramatique, romantique, sentimentale et tragique mais dans la veine naturaliste de Mizoguchi. Celle où la description d'un individu est déterminée par un milieu. Ici pas de sentimentalisme mais la dureté du commerce.

Si l'argent dirige le système, Omocha veut le prendre là où il est. Elle retourne le système pour le faire marcher pour son compte. Omocha veut dire "jouet" mais c'est un personnage de guerrière qui refuse d'être une victime comme le sera l'héroïne de L'intendant Sansho. Omocha ne critique pas le monde mais vit dans un monde sans sentiment et elle ne pourra finalement rien contre les hommes, faibles, lâches et sans scrupules qui ont le pouvoir et auront toujours le dessus.

Loin de tout manichéisme, le réalisateur met à jour cet affrontement générationnel sans prendre parti, jouant essentiellement sur les symboles et les lieux : la maison renvoie à l’enfermement et aux ténèbres, tandis que la rue, l’espace extérieur, incarne la liberté et la lumière. Le choix d’utiliser des plans séquences éloignés du centre de l’action fait naître une tension dans la distance. Il sonde l’âme de ses personnages avec une grande pudeur et cette position de la caméra ne nous les rend pas moins proches grâce à la force de la parole. Alors que son dernier film muet, La Cigogne en papier, date seulement de l’année précédente (1935), Mizoguchi use de la force dramatique des dialogues parlés avec justesse. Ce procédé met en valeur toute la complexité de l’humanité.

Critique amère de la société, Les Sœurs de Gion met régulièrement en lien le lieu des échanges commerciaux à celui de l’espace familial qui se délite. Les liens affectifs sont liés à l’argent. Si le caractère des personnages semble défini par leur condition sociale, il souligne surtout l’emprise des codes sociaux sur chaque individu. Le dépouillement des décors rend cette peinture de la réalité plus mordante et nous permet de nous focaliser sur une certaine intériorité.

Mizoguchi livre à travers ce drame une vision terriblement sombre de l’institution des geishas. La vie de ces deux protagonistes est vouée à l’échec, toutes deux victimes de leurs illusions. En se jouant des hommes, Omocha a attiré sur elle les foudres de la vengeance. Elle se retrouve confrontée à une conscience exacerbée de sa condition. Umekichi, quant à elle, doit faire face à sa solitude. Sa bonté et son respect des giri (obligations) et senki (opinion publique) n’ont pas suffi à retenir l’être aimé. Au-delà de la condition de geisha, le réalisateur porte un regard sur la condition féminine dans son entier, voire sur la condition humaine.

Isuzu Yamada, égérie des années trente de Mizoguchi, irradie le film de sa présence y jouant, un de ses rôles les plus marquants, cynique et tête haute face à l'adversité. Les gros plans se font cependant plus rares que dans L'élégie de Naniwa. Mizoguchi y trouve là le style qu'il ne cessera ensuite de travailler et de varier.

Distribution

Soeursgion.jpg
  • Isuzu Yamada : Omocha
  • Yōko Umemura : Umekichi
  • Benkei Shiganoya : Shimbei Furusawa
  • Fumio Okura  : Jurakudo
  • Eitarō Shindō : Kudo
  • Taizō Fukami : Kimura
  • Sakurako Iwama : Omasa Kudō
  • Namiko Kawajima
  • Reiko Aoi
  • Shizuko Takizawa

Fiche technique

  • Réalisation : Kenji Mizoguchi
  • Scénario  : Kenji Mizoguchi, Yoshikata Yoda d'après le roman The Pit de Aleksandr Kuprin, paru en 1905
  • Production : Masaichi Nagata
  • Photographie : Minoru Miki
  • Montage : Tatsuko Sakane
  • Format : Noir et blanc, parlant
  • Durée : 69 minutes; 96 minutes (Japon)
  • Date de sortie : 15 octobre 1936


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