Maîtresse

De Cinéann.

Maîtresse film français de Barbet Schroeder, sorti en 1975

Analyse critique

Fraîchement arrivé à Paris, Olivier rejoint un ami qui l’embauche pour faire du porte-à-porte et vendre des livres. Dans un vieil immeuble, ils viennent en aide à une jeune femme qui a des problèmes de plomberie. Ayant appris d’Ariane, la jeune femme, que l’appartement du dessous est inoccupé, ils reviennent la nuit pour le cambrioler. Ils découvrent que cet appartement est le " donjon " d’une dominatrice professionnelle. Et se retrouvent prisonniers d’Ariane, descendue de son logement par un escalier amovible. Elle les libère en contrepartie d’un service très particulier d’Olivier lors d’une séance avec un client. Débute alors une idylle trouble entre Olivier et Ariane.

Barbet Schroeder décrit cette maison spécialisée pour clients sadomasochistes avec une précision documentaire. Ariane exerce l'activité de dominatrice professionnelle dans un décor sophistiqué de glaces et de marbre noir. Là, les « clients à passion » sont, moyennant finance, enchaînés, cravachés jusqu'au sang, chevauchés comme dans un concours hippique, suspendus, recroquevillés dans des sangles, à un crochet ou enfermés dans des cages exiguës durant des heures, étirés sur des chevalets. À moins que, de tempérament plus cérébral, ils ne préfèrent, écartelés sur un fauteuil de dentiste, se faire clouer les parties génitales sur une planchette en bois ou, déguisés en prostituées, arpenter, sous le regard et sur les ordres d'une maîtresse maquerelle, un trottoir imaginaire balayé par un vent glacial.

Ayant fait appel à de vrais sadomasochistes, le réalisateur a pu tourner sans trucages, à partir des pratiques réelles des volontaires, en rajoutant une dose d'exhibitionnisme, puisque les figurants savaient être filmés.


Maîtresse est un voyage ailleurs, en contrée sadomasochiste mais sa réussite tient à ce que Schroeder ne nous en rapporte pas quelques souvenirs folkloriques, des masques et des larmes, vite planqués honteusement dans un tiroir. Il ne fait pas du tourisme, mais de l'ethnographie.Il explore la permissivité, l'individualisme, le rapport au corps, et pose la question: que faire au lendemain de la libération sexuelle ? Telles sont les questions. La grande qualité de la narration évitera au réalisateur les problèmes de censure. Il aura même eu le luxe de n'avoir rien à couper au montage initial.

"Ce qui m'intéresse, c'est d'aller chez les gens, derrière la façade", dit Olivier au tout début. Le film commence d'abord comme une ligne tranquille, le plan-séquence qui suit Olivier de la gare au café, puis comme effraction. Enfin, il explore avec la fouille nocturne du boudoir d'Ariane, la lampe révélant à Olivier ses accessoires, pseudo-dentiste, chenil et dolorisme à domicile. Le premier contact d'Olivier avec un "esclave" passe successivement par l'appréhension, le rire nerveux devant ce décorum et la curiosité.

Le reste du film sera ensuite un entre-deux permanent, entre les deux appartements, deux mondes, entre deux identités, deux hommes [Olivier et le mystérieux Gautier]. Les nombreux miroirs chez Ariane tendent précisément à diviser les personnages, leur psyché, qui s'y reflètent. Les va-et-vient d'Olivier et Ariane entre les deux niveaux traduisent leur déséquilibre : ils s'aiment mais l'histoire d'Olivier et Ariane est en même temps une diversion face à une déshumanisation possible de ces pratiques extraordinaires.

L'humour est aussi là, discret, en témoignent le menottage d'Olivier et Mario, Ariane en ange sans miséricorde, la pâtée au champagne pour chiens préparée par la bonne ou la visite chez Emile. La veine documentaire de Schroeder est bien sûr saillante dans les scènes de domination, jouées par de vrais pratiquants, mais il n'y a aucun voyeurisme, le réalisateur sait être clinique. Les lumières aident, et la photographie de Nestor Almendros.

Barbet Schroeder n'a qu'à laisser parler les images pour établir un constat. Ce n'est qu'à la cinquantième minute du film qu'Ariane s'épanche un peu sur son métier : "c'est passionnant de rentrer dans la folie des gens". "Je prends plaisir à donner du plaisir". "Je suis là pour mettre en scène". Quant à Olivier monté de sa province, il se décrit comme une page vierge, donc sans cicatrices : "je n'ai pas d'histoire".

Le film a le mérite de décrire honnêtement les implications du sadomasochisme, positives comme négatives. Ariane apparaît comme indépendante, et par l'argent qu'elle gagne, porte la culotte au sein du couple, le contraste avec la présence de Depardieu, réduit à préparer le dîner en attendant que Madame revienne, est piquant.

Barbet Schroeder pose aussi la question de la marchandisation du corps, la difficulté d'en faire abstraction. Dans la vie certes réglée mais froide, comme ses mises en situation d'Ariane, l'amour d'Olivier ajoute de l'âme et du vague. L'évolution du personnage d'Olivier est en cela intéressante, son attirance pour Ariane tient à ce qu'il vit par procuration, à travers elle, ses fantasmes voyeuristes, de traverser le miroir. Il se satisfait un temps du joli cocon friqué tissé par Ariane mais étouffe au bout du compte dans cette dépendance. Renversement de rôles : Olivier cherche à humilier Ariane devant ses clients.

Déclarations

Barbet Schroeder déclare :

"J'ai retrouvé chez d'autres "maîtresses" ce sentiment d'utilité humaine, médicale, qu'elles éprouvaient à faire ce métier, et qui était important pour le personnage d'Ariane. Il fallait éviter de la montrer comme une victime exploitée ayant horreur de ce qu'elle faisait, mais au contraire la représenter comme un être équilibré : c'est le sens de la séquence où Ariane explique à Olivier son métier, son plaisir à le pratiquer ; chaque ligne de ce dialogue a été effectivement prononcé par des personnes vivantes, exerçant ce métier"

Distribution

Maitresse.jpg
  • Gérard Depardieu  : Olivier
  • Bulle Ogier : Ariane
  • André Rouyer : Mario
  • Nathalie Keryan : Lucienne
  • Roland Bertin : L'homme en cage
  • Tony Taffin : Émile
  • Holger Löwenadler : Gautier
  • Anny Bartanovski : Secrétaire
  • Serge Berry : Valet

Fiche technique

  • Réalisateur : Barbet Schroeder
  • Scénario : Barbet Schroeder & Paul Voujargol
  • Directeur de la photographie : Néstor Almendros
  • Montage : Denise de Casabianca
  • Musique originale: Carlos d'Alessio
  • Producteur : Pierre Andrieux
  • Durée : 108 minutes
  • Date de sortie : 28 avril 1975


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