Ma vie de Courgette

De Cinéann.

Ma vie de Courgette, film d'animation, en volume, franco-suisse, réalisé par Claude Barras, sorti en 2016

Analyse critique

Un petit garçon termine de dessiner un cerf-volant à l'étage d'une maison remplie de canettes de bière vides. Il empile ensuite des canettes pour en faire une pyramide, mais le tas finit par s'écrouler et par rouler dans l'escalier. Au rez-de-chaussée, une femme ivre regarde une série sentimentale à la télévision. C'est la mère du petit garçon, qu'elle appelle "Courgette". Au bruit, elle se met en colère et commence à monter l'escalier menant à l'étage, en annonçant au garçon qu'elle va le battre. Effrayé, le garçon referme brusquement la trappe sur la tête de sa mère qui tombe dans l'escalier et ne bouge plus. Au commissariat, un policier, Raymond, prend la déposition du petit garçon. Il s'appelle Icare, mais préfère être appelé Courgette. Il n'a plus de père, mais il l'a dessiné sur son cerf-volant qui ne le quitte jamais. Raymond explique à Courgette que sa mère "est partie" et qu'il va l'emmener dans un endroit où vivent des enfants comme lui, qui n'ont plus ni père ni mère : un orphelinat.

À l'orphelinat, Courgette vit dans une chambre commune avec plusieurs autres enfants. Timide, il est d'abord en butte aux moqueries de Simon, un garçon qui a de l'ascendant sur tous les autres. Simon se moque de son nom et veut l'obliger à dire ce qui est arrivé à ses parents. Mais lorsque Simon vole le cerf-volant de Courgette et que celui-ci se bat pour le reprendre, les deux garçons finissent par se lier d'amitié. Simon explique à Courgette ce qui est arrivé à ses parents (qui se droguaient) et à ceux des autres enfants : folie, expulsions faute de papiers, meurtre, prison pour délit, pédophilie. Tous les enfants sont dans le même cas : "on n'a plus personne pour nous aimer". Les enfants eux-mêmes sont tous un peu étranges : l'un fait tout le temps pipi au lit, une autre est persuadée que sa mère viendra la chercher et sort en courant chaque fois qu'elle entend une voiture entrer, une autre encore a parfois un trouble obsessionnel compulsif.

Courgette s'habitue peu à peu à l'orphelinat. Raymond vient le voir régulièrement et tous les deux s'entendent bien. Un jour, une nouvelle petite fille arrive à l'orphelinat : Camille. Courgette en tombe aussitôt amoureux. Simon essaie de la faire parler de ses parents, mais elle refuse et lui tient tête victorieusement. Mais comme Courgette est curieux de savoir, Simon l'emmène fouiller dans les dossiers de la directrice une nuit et ils apprennent que Camille a vu son père tuer sa mère. Courgette se rapproche peu à peu de Camille à l'occasion d'une sortie en classe de neige. Les enfants sont déjà des adolescents et s'intéressent à ce que l'un de leurs professeurs peut bien faire avec sa collègue puisqu'ils sont visiblement amoureux l'un de l'autre.

L'adulte responsable de Camille est sa tante, qui ne l'aime pas et veut seulement la garder pour récupérer l'argent des aides familiales. Camille refuse de la voir quand elle vient lui rendre visite et ne veut jamais retourner chez elle. Mais un jour, la tante de Camille vient la chercher pour le week-end. Camille, aidée par Courgette, se cache dans la voiture de Raymond qui, de son côté, est venu emmener Courgette chez lui pour le week-end. Raymond découvre la petite fille en cours de route et accepte de l'accueillir, mais prévient l'orphelinat. Courgette et Camille sont ravis de ce week-end et passent une excellente journée à s'amuser dans la maison de Raymond. Mais la tante, furieuse de l'absence de sa nièce, obtient l'adresse de Raymond de la part de la directrice récalcitrante et vient en voiture la chercher malgré les protestations de la petite fille, en menaçant Raymond de porter plainte contre lui. Simon parvient heureusement à convaincre la tante de faire passer à Camille un bateau en papier "porte-bonheur", dans lequel Camille, le soir, découvre un lecteur mp3, cadeau de Simon, et un enregistrement exposant le plan de Simon pour aider Camille. Quelques semaines après, la tante revient en compagnie du juge qui doit décider s'il va lui confier la garde de Camille. Mais Camille enregistre sa tante pendant qu'elle l'insulte et la malmène, et diffuse l'enregistrement devant le juge et la directrice, ce qui ôte toute illusion au juge.

Quelque temps après, Raymond propose à Courgette de l'adopter, lui et Camille. Courgette accepte aussitôt. Mais Simon a surpris la conversation et en éprouve beaucoup de tristesse. Pendant le dîner à l'orphelinat, il éclate et reproche à ses deux amis de vouloir partir. Plus tard, calmé, il conseille au contraire à Courgette d'accepter, car il est très rare que des orphelins de leur âge se fassent adopter. L'adoption est finalement acceptée par le juge et Raymond emmène Courgette et Camille dans sa maison où il leur a préparé des chambres. Camille, émue, pleure de bonheur, et Raymond lui-même verse quelques larmes. Ils n'oublient pas Simon et les autres enfants et les invitent ou vont les voir régulièrement.

Autobiographie d'une courgette, le livre de Claude Barras, a été édité en 2002. Il devient rapidement un phénomène de librairie. Il sait parler à toutes les générations de sujets particulièrement délicats à manier, du deuil à la maltraitance. Des mots justes, à la hauteur de gamin, involontairement matricide, qui raconte, avec son langage franc, direct, son arrivée dans un foyer et son quotidien parmi d'autres enfants comme lui cabossés par les hasards de la vie. Une manière d'être à la fois au cœur et à distance des situations évoquées. Pas de discours social, de charge ou de plaidoyer contre ou pour un système, simplement un récit en prise directe, presque au jour le jour. Et surtout une voix qui se fait plus personnelle au long des pages. Claude Barras a cherché à conserver cette singularité.

Le réalisateur suisse s'associe à Morgan Navarro pour le scénario, puis à Céline Sciamma. Barras est séduit par Tomboy (2011), son «petit» film sur un garçon manqué qui fait croire à une fillette qu'il en est un tout court. Il agit comme un déclic, la réalisatrice rejoint l'équipe et reprend le scénario, notamment sa seconde moitié, qu'elle resserre sur les personnages, cette bande de mômes qui se met à pleinement exister, le moindre d'entre eux ayant droit à la parole dans ces scènes nouvelles ou réécrites. Aux dialogues de Navarro et Barras, Sciamma rajoute des petites touches, rendant à la fois l'ensemble plus réaliste, mais aussi plus émotionnel ou plus drôle, comme si l'enfance remontait à la surface, se partageait avec un fond et des préoccupations plus adultes.

Dans le film, les situations sont graves mais le regard des enfants reste plein de légèreté. Cela n'empêche pas une belle lucidité comme pour Simon, le caïd du foyer avec sa dureté apparente, qui se révèle le plus attentionné et le plus meurtri de la bande, Camille la nouvelle pensionnaire a beau avoir l'air détachée du monde, elle perçoit très rapidement les personnalités des uns et des autres. Tous ces gamins accablés par le sort ont même un pas d'avance sur les quelques adultes : ils ont inconsciemment entamé leur travail de résilience, n'ont pas oublié, malgré leurs souffrances, qu'ils sont des enfants découvrant le monde avec plus de curiosité que d'inquiétudes.

Cette part de pédagogie passe aussi par une animation en stop-motion et des personnages au design poétique, les énormes yeux ronds dévorant les visages ne sont pas éloignés de ceux des films d'animation pensés par Tim Burton. Ils empêchent d'idéaliser ces enfants ou rattachent à un univers de fable un peu plus douce que les situations de faits divers que le film évoque. Ils proposent des pistes de réflexions inattendues : que devient la notion de famille pour un enfant orphelin ? Que subsiste-t-il de l'enfance chez des gamins confrontés à un drame ?

Courgette, Simon, Camille et les autres ont appris à y répondre en étant au contact les uns des autres, en s'épaulant, en trouvant une famille de procuration en attendant d'être accueillis par de nouveaux parents. Pour preuve cette dernière image du film, une photo qui les réunit comme un joyeux souvenir en amorce de leurs premiers pas dans une vie d'adolescent.

Fiche technique

  • Réalisation : Claude Barras
  • Scénario : Céline Sciamma, Germano Zullo, Claude Barras et Morgan Navarro, d'après le roman Autobiographie d'une courgette de Gilles Paris
  • Musique : Sophie Hunger
  • Photographie : David Toutevoix
  • Montage : Valentin Rotelli
  • Marionnettes : Gregory Beaussart
  • Animation : Kim Keukeleire
  • Pays d'origine : Suisse, France
  • Dates de sortie : 14 juin 2016 (Festival international du film d'animation d'Annecy 2016)
    • 19 octobre 2016 (sortie nationale)
  • Récompenses : Cristal du long métrage, prix du public au Festival international du film d'animation d'Annecy.
    • Festival du film francophone d'Angoulême 2016 : Valois de diamant.

Distribution (voix)

  • Gaspard Schlatter : Courgette
  • Sixtine Murat : Camille
  • Paulin Jaccoud : Simon
  • Michel Vuillermoz : Raymond
  • Raul Ribera : Ahmed
  • Estelle Hennard : Alice
  • Elliot Sanchez : Jujube
  • Lou Wick : Béatrice
  • Brigitte Rosset : Tante Ida
  • Natacha Koutchoumov : la mère de Courgette
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