Madre

De Cinéann.

(Différences entre les versions)

Version actuelle en date du 13 août 2020 à 08:22

Madre , film espagnol, et français, de Rodrigo Sorogoyen, sorti en 2019

Analyse critique

Le cinéma de Rodrigo Sorogoyen est synonyme de tension. L'ouverture du film est un long plan-séquence, dans un appartement exigu, comme seront construits la majorité des décors, une mère tente péniblement de s’accrocher à son fils, âgé de 6 ans seul sur une plage française, à l’autre bout du combiné. Les années passent, 10 ans, Elena vit désormais en ces lieux qui lui rappellent les derniers instants de son fils. Elle travaille dans un café de la plage et vit une relation distante avec Joseba, souvent absent pour son travail. Un adolescent de 16 ans, l'âge qu'aurait son fils, Jean, fait son apparition. A cet instant, au drame de la disparition vient s’ajouter le tumulte de ses sentiments.

Les deux personnages s’entraînent mutuellement dans un tourbillon affectif qui, de par leur différence d’âge, les met en porte-à-faux avec leur environnement, les expose à la réprobation générale. Ce qui intéresse Sorogoyen en premier lieu, c’est le caractère indécidable de la relation qui se noue. Il s'agit, au premier degré de la recherche pour la mère d’un fils de substitution, et de l’intérêt d’abord libidinal que l’adolescent prend à se voir approché par une belle femme d’âge mûr. Mais aussi d'une affinité mystérieuse qui se forme au mépris des regards extérieurs, les proches ne sachant y voir que du mal. Madre ne contient pas plus le portrait d’une mère courage que d’une mère douleur, mais le cheminement sinueux et fragile d’un tête-à-tête arraché aux circonstances. Un tête-à-tête dont aucun, ni la femme ni l’adolescent, ne saura finalement pourquoi il ressemble autant à des retrouvailles.

Les mouvements de caméras sont amples, les décors sont exigus et les cadres sont très souvent déformés à grands coups de courte focale. Ces éléments créent une sensation de dissonance inhérente au personnage d’Elena, persuadée d’avoir trouvé ou retrouvé quelque chose en Jean. C’est sur la question des sentiments d’Elena et de Jean que Madre cultive son ambiguïté morale. La tension naît de deux perceptions différentes de ce qui est montré. La relation qu’entretient Elena à Jean, se perçoit différemment, selon les points de vue, selon les personnages ou selon les angles de caméra. La tension se nourrit des sentiments d’Elena, eux aussi sur le fil du rasoir, entre une tension érotique, fantasmée par Jean, et l’espoir d’une mère de rattraper le temps perdu avec son fils.

Déclarations du réalisateur:
Madre est l’histoire d’une mère et d’un fils, qui n’est pas le sien. Et c’est une histoire d’amour. Ce n’est pas une histoire sentimentale, pas une histoire sexuelle non plus, mais c’est une histoire d’amour. Avec Isabel Peña, ma coscénariste, on a beaucoup parlé et on en est arrivés à la conclusion qu’il est impossible de cataloguer les sentiments et même de les définir. Pourquoi devrait-on décrire précisément avec des mots ce qui est en jeu pour Elena et Jean ?
Toutes les formes d’amour existent entre les mères et les fils, il y a des sentiments familiers que tout le monde connaît et des sentiments qui sont uniques, propres à chaque histoire. J’ai voulu montrer toutes les nuances possibles d’une relation mère-fils.
Avant de tourner Madre, J’ai vu Le Souffle au cœur, de Louis Malle, et c’était incroyable. C’est un film de 1971 mais il est tellement moderne qu’il serait impossible de le tourner aujourd’hui. Dans la dernière scène, Louis Malle filme la mère et son fils en train de faire l’amour dans un lit. Et c’est d’une tendresse magnifique.
Il y a beaucoup de mystère dans Madre : la disparition du fils d’Elena, la relation qu’elle noue ensuite avec Jean. J’ai voulu faire un film plein d’énigmes, sans perdre le spectateur. Il fallait qu’il puisse ressentir ce qu’Elena ressent. Ne pas savoir ce qui est arrivé à son enfant est horrible pour elle. Le spectateur peut partager ce sentiment, puisque, lui non plus, il ne sait pas ce qui s’est passé, il n’a aucune information. Et il doit attendre jusqu’à la fin pour vraiment comprendre Elena, car elle semble tout le temps sur le point de basculer dans la folie ou la violence.
Raconter une histoire où il y a du mystère avec un grand angle, c’est plus difficile, donc c’est plus intéressant. Le grand angle, c’est le rapport qu’a Elena avec le paysage : elle se retrouve devant une plage ouverte à l’infini, c’est là que son fils a disparu et elle est incapable de dire comment, où. Elle voit tout et elle est perdue, c’est le contraire d’un labyrinthe. J’ai choisi le grand angle pour arriver à cette sensation. Et la plage immense était le décor parfait.

Distribution

  • Marta Nieto : Elena
  • Jules Porier : Jean
  • Alex Brendemühl : Joseba, le fiancée d'Elena
  • Anne Consigny : Lea, la mère de Jean

Fiche technique

  • Réalisation : Rodrigo Sorogoyen
  • Scénario : Isabel Peña et Rodrigo Sorogoyen
  • Photographie : Alejandro de Pablo
  • Montage : Alberto del Campo
  • Musique : Olivier Arson
  • Durée : 128 minutes
  • Dates de sortie :30 août 2019 (Mostra de Venise 2019)
    • France : 22 juillet 2020


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