Mamma Roma

De Cinéann.

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Mamma Roma est le second film de Pier Paolo Pasolini, film italien sorti en 1962.

Analyse critique

Mamma Roma, prostituée vieillissante, abandonne son métier et décide de récupérer son fils, Ettore, qu'elle avait laissé en pension pendant 16 ans, afin de reprendre une vie stable. Son principal souci est alors d'insérer son fils sans instruction dans une société plus conventionnelle.

Le scénario de Mamma Roma dont le décor est un nouveau quartier moderne à Rome est l'histoire d'une mère et de son fils. L'héroïne est contrainte à la prostitution, son fils Ettore, ayant perdu confiance en sa mère quitte son travail et retrouve ses mauvaises fréquentations. Il meurt et désespérée, la prostituée tente un examen de conscience. Mamma Roma se termine par un cri désespéré : « Les responsables ! les responsables ! » Le film s’achève simplement par un enchaînement de quatre plans sans dialogues. À l’écran, le cri est comme absorbé par la vision, terrifiante, spectaculaire et dramatique du quartier de Tiburtino. Mamma Roma, écrasée de désespoir, veut sauter par la fenêtre. Les voisins la retiennent, mais c’est aussi la vision du spectacle devant elle qui semble suspendre son geste.

Dès les premiers plans, les distances prises avec le néoréalisme sautent aux yeux. Les références visuelles avant tout picturales, la musique sublime de Vivaldi, la fétichisation du réel, rendent cette œuvre absolument unique au sein du nouveau cinéma des années 1960. Rôle remarquable pour Anna Magnani, celui d'une héroïne tragique menant un combat perdu contre un monde qui ne pardonne rien aux marginaux.

À un plan rapproché qui rend visible l’expression de sa souffrance, succède un contrechamp en plan général sur la ligne de HLM qui vient barrer l’horizon. Ce champ / contrechamp est répété une deuxième fois, avec une intensification du regard de l’héroïne : ses yeux effrayés sont maintenant exorbités, comme ceux des voisins qui semblent aussi sujets à une vision monstrueuse, son regard s’emplit d’une sorte de colère impuissante. Retour final au plan général sur les HLM, trois petites secondes, puis le mot “Fin” s’inscrit en lettres noires sur fond blanc.

Les images du quartier ouvraient déjà la première séquence du film en posant le décor : au centre, on remarque un dôme moderne, sorte de mauvaise imitation de Saint-Pierre ; autour se dressent des HLM, certaines achevées, d’autres en construction. Ces deux éléments ne sont pas seulement l’expression matérielle de la double morale qui hante l’esprit de Mamma Roma : ils sont le véritable résultat objectif de la politique catholico-socialiste, la transsubstantiation de l’idéologie en pierre, bâtiment, ville.

Pasolini déclare :« Dans Mamma Roma je voulais expliquer l’ambiguïté d’une vie sous-prolétaire avec une structure petite-bourgeoise. »

Les visions répétées du quartier ne laissent guère d'interprétation sur le fait qu'il dépasse finalement l’idée fataliste d’une prédestination au malheur, sa critique est politique : certains choix urbanistiques et sociaux sont lourds de conséquence pour les plus modestes, le progrès matériel apporté par la modernité est un leurre. Une critique de la dérive de l’urbanisme populaire, et de l'apologie du monde ouvrier et de son esprit révolutionnaire qui vivait dans les bidonvilles, les masures, les immeubles populaires, les villages et les bicoques des champs. Des lieux de pauvreté, a la réalité physique, virile et humaine, qui éduquaient a la certitude, a un profond amour, sur et irremplaçable. Esprit qui s'étouffe désormais dans les cites d’immeubles populaires à l’esprit « cruel, impitoyable, agressif et conventionnel ». Le conservatisme des centre-villes qui permettait la vie commune entre bourgeois et fils populaire, disparait car la « structure et la qualité de vie de la masse bourgeoise et ouvrière consumériste devient incompatible et engendre un chaos que ni le mot de conservation, ni le mot de révolution ne peuvent expliquer ».

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le cinéma doit faire face aux peu de moyens disponibles. Pasolini y concède en recrutant des acteurs amateurs à même les rues Cette contrainte vient renforcer l'effet de réel prôné par le réalisateur. Par ailleurs, figure phare du film, Anna Magnani connue pour son rôle dans Rome, ville ouverte, film de Roberto Rossellini, donne toute sa singularité au film. Personnage caractériel, très affirmé, elle incarne l'image d’une femme qui se débat emprisonnée par un destin tragique. Très appréciée de Pasolini qui d'ailleurs composera un poème en son honneur faisant référence à la dernière scène du film : « Presque un emblème Désormais, le cri de Magnani,Sous les mèches en désordre absolu,Résonne dans les panoramiques désespérés,et dans ses coups d’œil vifs et muets,Se concentrent le sens de la tragédie ».

Pier Paolo Pasolini emprunte ses thèmes au néo-réalisme : l’errance, les paysages de terrain vague, les immeubles en ruine, les personnages, le souteneur, la prostituée, l’adolescent oisif et le choix du noir et blanc qui accentue la tristesse et la froideur d'une vie misérable, sans couleur, qui n'a pas de goût. Pasolini souligne cette réalité en filmant de longs moments où il ne se passe pratiquement rien, le temps réel que prendrait une action peu importante ou se fige en gros plan sur des visages pour en capter toutes les émotions. Le spectateur est en contemplation avec des moments de vide, correspondant très souvent à l'errance des adolescents dans les terrains vagues.

Le réalisateur considère le cinéma comme autre élément d’expression au même titre que l’écriture, la musique ou le dessin, qui traduit le langage. Il qualifie l’image de « langue écrite de la réalité » et disait même « le cinéma me permet de maintenir le contact avec le réel, un contact physique, charnel. Et cette réalité se livre dans le seul acte de filmer, qui met à nu la réalité quotidienne ». Il y a un désir dans la façon de filmer, d’oubli de la caméra, comme si l’œil observait par lui-même le quotidien purement et simplement. Volonté presque documentaire à montrer les choses telles qu’elles sont. Pour Pasolini, l’être humain aussi simple puisse-t-il être est œuvre cinématographique par sa seule existence, la vie est un film naturel, une langue universelle. Pour lui, l’éclairage, le son, les paysages, les personnages doivent paraître réels et rien n’est retouché. Dans Mamma Roma, Anna Magnani joue son rôle avec par moment de libres improvisations (séquence de danse avec son fils, chute des deux personnages et éclats de rire non coupés au montage).

Le réalisateur utilise de nombreux travellings du film ; un arrière accompagne la marche nocturne de Mamma Roma, dans les faubourgs, parmi les prostituées, avec à l’arrière les lumières de la ville omniprésente. La caméra suit le parcours sinueux de Mamma Roma qui dans son ivresse se plonge dans un monologue de rédemption, des personnages l’abordent, marchent à ses côtés puis disparaissent dans la nuit, pour être remplacés par d’autres. Ce travelling appuie l’ambiance des nuits romaines, anime l’action, révèle l’emprise de Mamma Roma (toujours au premier plan au centre du cadre) dans ce milieu qui peu à peu se retire de ce monde parallèle presque irréel, de débauche et prostitution comme happée par une force invisible.

Le décor joue un rôle important dans le film : d'un côté les immeubles résidentiels de la ville moderne du quartier Don Bosco en plein développement à cette époque, de l'autre des vestiges de la Rome antique, en particulier du Parc des aqueducs et de l'aqueduc de l'Aqua Claudia. La basilique San Giovanni Bosco, érigée de 1952 à 1964, est présente sur de très nombreux plans d'extérieur, comme un élément tutélaire et symbolique permanent, mais n'est pas utilisée pour les scènes d'églises tournées en studio. Au centre de ces espaces se déroule la majorité de film dans un monde en marge où se côtoie le sous-prolétariat. En parallèle la ville apparaît oppressante, ravageuse qui engloutie l'homme. Pasolini fait le procès de la société et de ses classes. La scène finale est très éloquente et souligne bien le pouvoir de la force de la ville urbaine. Lorsque comme par télépathie, Mamma Roma ressent l’agonie de son fils qui l’appelle en vain. Celle-ci effondrée se lance dans une course folle jusque la fenêtre de son appartement et lorsque retenue de justesse par ses voisins elle jette un regard muet et hébété sur cette impassible banlieue. La réalité lui saute enfin aux yeux lui révélant peut-être son échec face à la force ravageuse de cette ville et du sort qu'elle réserve à chacun.

Le réalisateur passionné très tôt par l’image du Christ sur la croix, déclare : « Je cherche le Christ parmi les pauvres ». Dans la scène finale, lorsqu’Ettore est attaché au lit de contention, le plan évoque le tableau La Lamentation sur le Christ mort d'Andrea Mantegna. Le corps étant filmé en travelling pour faire remarquer la parfaite symétrie du corps comme sur le tableau et souligne chaque membre pour faire ressentir la douleur de la torture. Le cri qu’il lance en appelant sa mère a valeur christique et rédemptrice, retour à la matrice à la fin de sa vie. Le film par ailleurs débuté sur une cène (cérémonie de mariage autour d’une table en fer à cheval) reconstitution du tableau de De Vinci. Musique ↑

Passionné de musique, Pasolini lui consacre une place importante dans ses films. Tout le long du film, la musique accompagne les scènes. Notamment un concerto de Vivaldi qui est en forte opposition à ce monde déshumanisé. Pasolini ne croit pas en la nécessité de concordance entre l’image et la musique. Dans la scène finale, cette musique très puissante fait ressortir la colère, l'injustice de la situation exposée souligne le côté tragique plutôt que la tristesse de la mort.

Mamma Roma ne sortit en France qu'en 1976 (Pasolini venait d'être assassiné). Même si Pasolini se désole du nihilisme propre à l’hédonisme consumériste, à aucun moment cependant il ne propose le moindre retour vers ce passé, préférant faire jouer à ce monde archaïque un rôle révolutionnaire, à travers son insertion brutale dans notre univers moderne. Le malheur, explique Pasolini dans Mamma Roma, ne vient pas forcément du fait que le capital appauvrit, mais de ce que le bien-être matériel s’accompagne d’une perte d'humanité.

Distribution

  • Anna Magnani : Mamma Roma
  • Ettore Garofolo : Ettore
  • Franco Citti : Carmine
  • Silvana Corsini : Bruna
  • Luisa Loiano : Biancofiore
  • Paolo Volponi : le prètre
  • Luciano Gonini : Zacaria
  • Vittorio La Paglia : Pellissier
  • Piero Morgia : Piero
  • Lanfranco Ceccarelli : Carletto
  • Marcello Sorrentino : Tonino
  • Sandro Meschino : Pasquale
  • Franco Tovo : Augusto

Fiche technique

  • Titre original : Mamma Roma
  • Scénario et Réalisation : Pier Paolo Pasolini
  • Images : Tonino Delli Colli
  • Montage : Nino Baragli
  • Direction artistique : Flavio Mogherini
  • Producteur : Alfredo Bini
  • Noir et blanc
  • Durée : 110 min
  • Dates de sotie : 31 août 1962 (Festival de Venise)
    • France : 7 janvier 1976


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