Mister Freedom

De Cinéann.

Mister Freedom, film français de William Klein sorti en 1969.

Analyse critique

Mister Freedom est l'histoire d'un superhéros américain, justicier et moralisateur, qui propose de gré ou de force les bienfaits de la liberté. La très puissante Freedom Organisation lui donne pour mission de libérer la France de la menace rouge et du péril jaune, représentés par les anti-héros Moujik Man et Red China Man. Mister Freedom débarque à Paris où il rencontre Marie-Madeleine, l'ex-fiancée du Capitaine Formidable, et Moujik Man, son ennemi juré.

Pour les dirigeants de Freedom Organisation, la France, depuis trop longtemps déchirée entre les camps du bien et du mal, mérite une solide correction, une vraie leçon de liberté. Héros manufacturé sur mesure pour ce genre de situations, Mister Freedom est l'homme de la situation : intransigeant, impitoyable, il incarne le rêve américain et assure avec une virilité d'exception sa mise en marché musclée à travers le monde. Les déviants politiques et autres indécis de ce monde n'ont qu'à bien se tenir : si vous n'êtes pas avec lui, vous êtes contre lui et, si vous êtes contre lui, ça va barder. Rien ne vous remet sur le droit chemin de la démocratie comme une bonne mornifle, assénée avec vigueur par un agent de l'ordre aux convictions inébranlables; et rien, pas même un argument logique, ne pourra faire chanceler celles de ce titan de la liberté.

Mister Freedom est une satire grinçante de l'impérialisme à la sauce américaine, réalisée par un Américain vivant à Paris William Klein. Il détourne les conventions du film d'espionnage et du comic book, en les assaisonnant d'un traitement pop art coloré et irrévérencieux. William Klein, après s'être attaqué au monde de la mode avec Qui êtes-vous, Polly Maggoo ?, décortique ici le plus grand mythe de la seconde moitié du XXe siècle, monté de toute pièce, celui de l'Amérique elle-même, soi-disant Land of the Free. Le cinéaste en expose les dérives totalitaires en procédant à une déconstruction par l'absurde de son iconographie propagandiste et des contradictions de son discours. L'idéologie n'est ici qu'une question d'ordre esthétique, le véritable enjeu du politique étant le pouvoir, la croissance progressive d'une sphère d'influence assurant la domination économique du monde; et la réduction du concept de liberté au rang de vulgaire slogan publicitaire vide de tout son sens le terme « démocratie » que scande sans le comprendre le super-héros endoctriné.

« Ladies and gentlemen, you've been living like pigs. » Avec la douceur d'un marteau-piqueur, Mister Freedom vante les mérites de l'American way of life au peuple français. Un montage d'images dissonantes accompagne son violent sermon patriotique : des Amérindiens buvant du Coca-Cola, dansant joyeusement dans de vastes prairies sauvages, des bisons broutant paisiblement l'herbe fraîche, des familles blanches modèles en vacances et des majorettes à paillettes s'agitant gaiement pour leurs boys qui sont au Vietnam. Puis l'orateur réplique aux images des ghettos noirs en faisant de la misère humaine une autre noble dimension du rêve américain : « Harlem is more than a slum. It's more than a ghetto. It's a drama, a human drama, but that too is part of fabulous swinging New York. »

La mise en image du réel le rend tolérable en le banalisant; mais le montage frénétique ébranle le spectateur, les images d'horreur s'accumulent, le rêve vire au cauchemar tandis que le cow-boy saoule son auditoire de ses envolées socio-lyriques à double sens. Mister Freedom, du haut de sa scène, a fait de la vie un gigantesque spectacle; et la foule, qui se complaît dans une parodie orgiaque du rituel électoral, joue docilement son rôle dans cette grande mascarade. Plus tard, dans l'ambassade américaine qui n'est en fait qu'un gigantesque centre d'achat, l'interlocuteur de Mister Freedom expose le problème auquel font face les fiers gardiens de la liberté : certains esprits dissidents, porteurs d'idées séditieuses, exigent de « vraies » élections.

Le héros passe à l'action. Une enquête sommaire lui permet de découvrir qu'un gros dragon en caoutchouc répondant au doux nom de Red China Man se cache derrière la dérive idéologique du groupuscule terroriste FAF – French Against Freedom. Pour éradiquer l'épidémie rouge, Mister Freedom est prêt à tout, même à faire sauter le pays entier si ses habitants refusent de se rendre à la raison. Le sort de la nation se jouera par l'entremise d'une série de sondages qui révèlent que rien ne va plus. Afin d'endiguer la prolifération d'idées anti-démocratiques, la solution forte s'impose. La guerre fait rage et bientôt Mister Freedom se tort de douleur dans les décombres encore fumants du pays qu'il croit avoir détruit. Mais la caméra, s'éloignant du corps du martyr, révèle que cette apocalypse n'était qu'une illusion, fruit de l'imaginaire paranoïaque du justicier déluré.

Klein réalise avec minutie, composant chaque plan avec un soin admirable, arrivant à un équilibre subtil entre délire et précision. La démesure des images contribue paradoxalement à leur compréhension au lieu de la brouiller, chacune étant si lourdement chargée de signes cohérents qu'elle force le spectateur à se pencher sur elle avec un soin considérable. C'est en ce sens que sa mise en scène s'avère subversive. Employant des stratégies propres à la propagande publicitaire dont il connaît intimement les mécanismes, Klein démonte les tactiques de La Société du Spectacle, un an après la publication de l'ouvrage de Guy Debord portant ce titre et relève l'influence profonde de celle-ci sur la politique contemporaine, véritable cirque mythologique, saturation des sens dénaturant le sens à laquelle seul le regard posé, critique, peut résister.

Distribution

  • John Abbey  : Mister Freedom
  • Delphine Seyrig : Marie-Madeleine
  • Philippe Noiret : Moujik Man
  • Donald Pleasence : Dr Freedom
  • Jean-Claude Drouot : Dick Sensass
  • Serge Gainsbourg : Mr Drugstore
  • Rufus : Freddy Fric
  • Catherine Rouvel : La Marie Rouge
  • Pierre Baillot : Tornade Blanche
  • Yves Lefebvre : Jacques Occident
  • Henry Pillsbury : Joe Détergent
  • Sami Frey: Le Christ
  • Yves Montand : Capitaine Formidable
  • Daniel Cohn-Bendit
  • Michel Creton
  • Colin Drake

Fiche technique

  • Réalisation, scénario, costumes, dessinateur (films) et dialogue : William Klein
  • Directeur de la photographie : Pierre Lhomme
  • Montage : Anne-Marie Cotret
  • Musique : Serge Gainsbourg / Michel Colombier
  • Durée : 105 min
  • Date de sortie : 9 janvier 1969


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