Moi, Daniel Blake

De Cinéann.

Moi, Daniel Blake (I, Daniel Blake) , film britannique de Ken Loach, sorti en 2016

Analyse critique

Dans le Royaume-Uni des années 2010, un cardiaque de 59 ans et une mère célibataire de deux enfants sont malmenés par les services sociaux. Ils essaient de s'entraider. Depuis octobre 2008, les autorités du Royaume-Uni considèrent que de nombreuses personnes présentant des problèmes de santé ou de handicap peuvent accéder à un travail. Une prestation leur est versée, l'ESA (Employment and Support Allowance), pour les inciter à retrouver une activité. Ils sont tenus de participer à une série d'entretiens concernant leur recherche d'emploi. En mai 2010, le plan d'austérité mis en place par George Osborne prévoit la privatisation du plus grand nombre des services publics. Ceux qui restent en place sont soumis aux mêmes normes managériales que le secteur privé : évaluation et concurrence. Ce sont désormais des salariés rémunérés sur objectifs qui appliquent les règlements : la gestion sociale s'en trouve bouleversée.

Daniel Blake, veuf, menuisier de 59 ans, est victime d'un accident cardiaque, ce qui l'oblige à faire appel pour la première fois de sa vie à l'aide sociale. Ses médecins lui interdisent de travailler. Mais il est déclaré apte par une compagnie privée sous-traitante de l'administration pour la chasse aux tire-au-flanc. Les services sociaux le privent donc de l'allocation à laquelle il croyait avoir droit. Il peut faire appel, mais la procédure sera longue. On lui conseille, en attendant, de s'inscrire au chômage.

Commence alors une descente aux enfers. Blake est pris dans le piège d’une administration tatillonne qui multiplie les humiliations : recours à des centres d’appels qui ne servent à rien, épuisant parcours de formulaires à remplir sur Internet qu'il est obligé de découvrir; ces formulaires ne sont jamais complets, c'est un dédale kakfkaïen et bureaucratique qui broie lentement mais sûrement. Blake se heurte à une succession d’individus qui en sont à peine, des êtres qui parlent comme des répondeurs téléphoniques à options multiples, et qui veulent le forcer à se plier à des règles qui n’ont pour lui aucun sens. Pour percevoir une allocation, il est tenu de consacrer 35 heures par semaine à des recherches d'emploi. « Je suis un homme malade, dit-il, recherchant des boulots inexistants. » Il doit suivre un « atelier CV ». Dans l'un de ses CV, il tient à préciser : Je suis un homme, pas un chien. Un citoyen rien de moins et rien de plus.

Lors d'un de ses rendez-vous au Jobcentre, Blake fait la connaissance de Katie, mère célibataire contrainte de loger à 450 km de sa ville natale pour éviter d'être placée en foyer de sans-abri, ce qui lui ferait perdre la garde de ses deux enfants. La fonctionnaire chargée de son dossier refuse de la recevoir, au motif qu'elle est arrivée en retard. Katie a beau expliquer qu'elle ne connaît pas la ville, qu'elle n'est pas familiarisée avec le réseau de bus local, rien n'y fait. Son allocation est supprimée pour une durée d'un mois. Blake et Katie vont s'entraider.

Le scénariste Paul Laverty explique d'où est venue l'idée du film : « La campagne de dénigrement systématique menée par la presse de droite contre tous les bénéficiaires de l'aide sociale, relayée par plusieurs émissions de télévision haineuses qui se sont engouffrées dans la brèche, a attiré notre attention. Les médias se délectaient de la détresse des gens de manière obscène. » Pour le réalisateur Ken Loach, « le point de départ a été l'attitude délibérément cruelle consistant à maintenir les gens dans la pauvreté et l'instrumentalisation de l'administration, l'inefficacité volontaire de l'administration, comme arme politique. On sent bien que le gouvernement cherche à faire passer un message : « Voilà ce qui arrive si vous ne travaillez pas. Si vous ne trouvez pas de travail, vous allez souffrir. » Il n'y a pas d'autre explication à cette attitude. Et la colère que cette politique a provoquée chez moi m'a donné envie de faire ce film. »

Selon leur habitude, Laverty et Loach se livrent à une longue enquête sur le terrain, recueillent des témoignages. « Nous avons rencontré un groupe de demandeurs d’emploi par l’intermédiaire d’une association caritative. Il y avait un jeune homme qui n’avait pas mangé depuis quatre jours. Un autre, à qui l’agence pour l’emploi avait demandé à 5 heures du matin de se rendre à un entrepôt à 6 heures, s’était entendu dire une fois sur place qu’il n’y avait pas de boulot. On évoque cette humiliation permanente et ce sentiment constant de précarité. »

Défendu par des acteurs impeccables, traversé par un humour ubuesque, souvent prévisible dans sa narration, Moi, Daniel Blake est surtout un plaidoyer militant contre la déshumanisation de nos sociétés modernes où certains fonctionnaires zélés ont perdu tout bon sens pour se mettre au service de la machine à broyer, et non du citoyen. On y retrouve toutes les obsessions politiques et sociales de son auteur, plus enragé que jamais contre l’État anglais et sa machine bureaucratique qui broie les femmes et les hommes en position de faiblesse. Ce peuple que plus personne, sauf lui, n'appelle la classe ouvrière. Les victimes de toutes les crises, de toutes les politiques de rigueur, tous ceux qu'il est désormais un peu seul, en son époque et son île ultra-libérale, à défendre ainsi, caméra au poing, sans marchander, sans jamais rien lâcher. Cet isolement du réalisateur imprègne le récit d'amertume, lui donne, bien plus que pour le film précédent, un air d'ultime et poignant baroud d'honneur.

Idéologue plutôt que cinéaste, Loach ne fait rien pour nuancer ce tableau opposant les bons et les méchants. Rien pour mettre un peu de jeu et de contradiction dans les rouages de sa démonstration, pour y injecter un peu de complexité humaine, comme chez les frères Dardenne. Pour lui, il y a les oppresseurs et les opprimés. Et le réalisateur met le paquet pour bien charger négativement les uns et positivement les autres. Le film est simpliste, démagogique, mais redoutablement efficace. Si l’on rejoint Loach dans son dégoût des méthodes ultra-libérales, la façon dont il manie ses grosses ficelles pour les besoins de la cause est très limite. Le parti pris du jury de Cannes lui a donné la Palme d'Or, mais Moi Daniel Blake relève plutôt du tract sentimentaliste et du chantage à l’émotion que du cinéma.

« Moi, Daniel Blake n’est pas une satire d’un système absurde. Ken Loach n’est pas un humoriste, c’est un homme en colère, et le parcours de l’ouvrier privé de travail et de ressources est filmé avec une rage d’autant plus impatiente qu’elle est impuissante. »
Thomas Sotinel, Le Monde, 13 mai 2016

Distribution

  • Dave Johns : Daniel Blake
  • Hayley Squires : Katie
  • Natalie Ann Jamieson : Ann, l'employée du Jobcentre
  • Micky McGregor : Ivan
  • Colin Coombs : le facteur
  • Bryn Jones : le policier
  • Mick Laffey : le conseiller en avantages sociaux

Fiche technique

  • Titre original : I, Daniel Blake
  • Réalisation : Ken Loach
  • Scénario : Paul Laverty
  • Photographie : Robbie Ryan
  • Montage : Jonathan Morris
  • Musique : George Fenton
  • Production : Rebecca O'Brien
  • Sociétés de production : Sixteen Films, Why Not Productions et Wild Bunch ; Brithish Film Institute (coproducteur), BBC Films (coproducteur)
  • Durée : 100 minutes (1 h 40)
  • Dates de sortie : 13 mai 2016, en compétition au Festival de Cannes
    • France : 26 octobre 2016
  • Distinctions


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