Mommy

De Cinéann.

Mommy, film canadien, écrit et réalisé par Xavier Dolan, sorti en 2014.

Analyse critique

Dans un Canada du futur proche (2015), une nouvelle loi autorise les parents d'enfants très difficiles à confier ceux-ci à une institution d’État de type hôpital psychiatrique pour mineurs. Dans ce contexte, Diane, veuve d'une quarantaine d'années habitant la banlieue de Montréal, récupère la garde de son fils Steve, un adolescent souffrant d'un trouble du déficit de l'attention avec hyperactivité (TDAH), du fait de son expulsion pour comportement irresponsable et dangereux du centre de rééducation dans lequel il avait été placé peu de temps après la mort de son père.

La mère et le fils forment un duo explosif, entre amour, violence, tendresse et insultes, que va venir compléter leur voisine Kyla, professeur dans le secondaire en congé sabbatique suite à un drame dont elle garde un bégaiement handicapant. Tous les trois trouvent alors une forme d'équilibre précaire, Kyla donnant des cours de rattrapage à Steve, tandis que Diane effectue des ménages pour assurer la survie financière de la maisonnée et même un certain bonheur, même si la relation entre Kyla et Steve n'est pas dénuée d'une ambiguïté amoureuse.

Jusqu'à ce qu'un huissier de justice délivre un jour à la mère de l'enfant terrible une très mauvaise nouvelle...

Avec André Turpin, son chef opérateur rencontré sur le clip de College Boy, il décide de tourner le film en format 1:1, un carré, rare dans le cinéma contemporain et qu'ils avaient utilisé sur le clip d'Indochine. Également monteur du film, Xavier Dolan estime que cela met en valeur les personnages, emprisonnant le regard du spectateur dans celui du personnage et débarrassant l'image des distractions pouvant apparaître sur les bords horizontaux. C'est un format emprunté à la photographie, et notamment à celle des portraits : « le sujet est indéniablement le personnage, au centre de l’image, toujours. Les yeux ne peuvent l’éviter. »

Le film est projeté en québécois sous-titré en français (et en anglais à Cannes) en raison de l'utilisation d'un dialecte joual ; les sous-titres français et anglais ont été créés par Xavier Dolan lui-même.

Xavier Dolan n'a même plus besoin d'un sujet choc comme le changement de sexe de Melvil Poupaud dans Laurence Anyways ni d'emprunter au cinéma de genre comme pour Tom à la ferme, pour maintenir la tension pendant plus de deux heures, il lui suffit, cette fois, de faire exister intensément ses trois personnages cabossés et magnifiques et d'orchestrer une savante alternance d'accélérations et d'accalmies. Les liens à la fois précaires et dévorants suffisent. L'émotion s'installe massivement dans le premier tiers du film, sur un air de Céline Dion, chanté et dansé par le trio dans une cuisine miteuse et ne retombe plus.

La prouesse passe par ces actrices étonnantes que sont Anne Dorval et Suzanne Clément. La mère, lasse, énervée, volontiers vulgaire, a quelque chose de Gloria (1980, John Cassavetes), elle aussi flanquée d'un môme encombrant. La voisine à l'élocution bloquée rappelle une certaine « femme sous influence », héroïne dont l'émotivité extrême altérait l'expression. Et, face à elles, le jeune Antoine-Olivier Pilon incarne, avec une fougue à tout casser, une figure nouvelle dans l'univers du cinéaste, un adolescent strictement hétérosexuel, tour à tour taurillon agressif et agneau apeuré.

Xavier Dolan donne un style brillant à ces héros boiteux, comme à cette banlieue prolétaire de Montréal. Le film est superbement hybride, à la fois naturaliste, terre à terre et aussi parcouru de somptueuses envolées lyriques ou oniriques. Des coups de théâtre formels soulignent ces changements, comme les dimensions de l'écran qui changent subitement, et avec elles l'horizon des personnages. L'irruption des chansons est décisive, elles sont le seul héritage du père, disparu quelques années plus tôt et qui a laissé une simple compilation sur CD.

Mommy est comme une tragédie antique, son scénario, d’une précision quasi maniaque dispose les agents du destin sous des formes anodines, un facteur, un huissier, mais inexorables. Cette histoire d’amour, comme les autres, finira mal. Pourtant, le goût qu’elle laisse n’est pas amer. Diane, Steve et Kyla n’ont pas démérité. On ne leur tiendra pas rigueur de leurs faiblesses, de leurs lâchetés, de leurs défauts constitutifs. Enfant de son temps, Xavier Dolan met en scène des existences bornées par toutes les contraintes, mais réussit à convaincre qu’elles valent malgré tout la peine d’être vécues.


Déclarations

Xavier Dolan déclare :
S’il est un sujet que je connaisse sous toutes ses coutures, qui m’inspire inconditionnellement, et que j’aime par-dessus tout, c’est bien ma mère. Quand je dis ma mère, je pense que je veux dire LA mère en général, sa figure, son rôle. Car c’est à elle que je reviens toujours. C’est elle que je veux voir gagner la bataille, elle à qui je veux écrire des problèmes pour qu’elle ait toute la gloire de les régler, elle à travers qui je me pose des questions, elle qui criera quand nous nous taisons, qui aura raison quand nous avons tort, c’est elle, quoi qu’on fasse, qui aura le dernier mot, dans ma vie. À l’époque de «J’ai tué ma mère», j’avais voulu, je pense, punir ma mère. Seulement cinq ans ont passé depuis, mais je crois bien qu’aujourd’hui, à travers Mommy, j’essaie maintenant de la venger.

Critique des Cahiers du cinéma : « Mommy est le meilleur film de Dolan […], celui où le cinéaste parvient avec le plus de netteté à ses fins : parvenir à un certain étourdissement émotif du spectateur, tout en esquivant, certes parfois de justesse, le pathos fictionnel ou les entourloupes de scénario et de mise en scène »,

Distribution

  • Anne Dorval : Diane « Die » Després
  • Antoine Olivier Pilon : Steve O'Connor Després
  • Suzanne Clément : Kyla
  • Alexandre Goyette : Patrick, le mari de Kyla
  • Patrick Huard : Paul Béliveau
  • Viviane Pacal : Marthe
  • Nathalie Hamel : Natacha

Fiche technique

  • Scénario et réalisation : Xavier Dolan
  • Direction artistique : Colombe Raby
  • Photographie : André Turpin
  • Montage : Xavier Dolan
  • Musique originale : Noia
  • Production : Xavier Dolan et Nancy Grant
  • Société de production : Metafilms
  • Durée : 134 minutes
  • Dates de sortie : 22 mai 2014 (Festival de Cannes 2014)  ; 8 octobre 2014 (sortie nationale France)

Récompenses

  • Festival de Cannes 2014 : Prix du Jury
  • Festival international du film francophone de Namur 2014 : Bayard d'or du meilleur comédien pour Antoine-Olivier Pilon; Bayard d'or des meilleures comédiennes pour Anne Dorval et Suzanne Clément ; Bayard d'or de la meilleure photographie pour André Turpin


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