Nocturama

De Cinéann.

Nocturama , film français de Bertrand Bonello, sorti en 2016

Analyse critique

L'action débute, assez mystérieusement, à Paris, un matin. Une poignée de jeunes, de milieux différents. Chacun de leur côté, ils entament un ballet étrange dans les dédales du métro et les rues de la capitale. Ils semblent suivre un plan. Leurs gestes sont précis, les jeunes gens, parmi lesquels David, Yacine, Sabrina, Mika, Sarah et Omar, se retrouvent à la nuit tombée dans un grand magasin. Avec la complicité d'un vigile, ils entrent dans le bâtiment fermé au public. La nuit commence. Soudain, plusieurs bombes explosent dans Paris, le responsable d'une grande banque est assassiné, et la statue équestre de Jeanne d'Arc, place des Pyramides, chère au Front National, prend feu. Pendant ce temps, la panique envahit la ville et les politiques se perdent en conjectures. Mais les jeunes, retranchés dans le grand magasin, succombent peu à peu au vertige de la consommation de luxe, pourtant honnie.

Bertrand Bonello écrit le scénario en 2011, qu'il pensait tourner après L'Apollonide. Il s'inspire des émeutes de 2005 à Birmingham, dû à une opposition communautaire. Le film s’inspire également de Glamorama de Bret Easton Ellis. Mais il met le projet de côté pour réaliser Saint Laurent, alors un film de commande. Le film traite de la rébellion de la jeunesse, sans véritables revendications, il est défini comme un film d’action contemporain avec des personnages issus de milieux sociaux divers pour éviter toute stigmatisation du type “c’est la banlieue” ou “c’est l’islam”. Le cinéaste est de nouveau interviewé après les attentats de janvier 2015 en France, où trois terroristes causèrent la mort de 17 personnes, le synopsis pouvant évoquer le terrorisme. Bonello déclare qu'il ne changera pas son scénario car les terroristes du film ne font partie d'aucun mouvement politique ou religieux. Le tournage a lieu l'été 2015 à Paris, notamment au centre commercial La Samaritaine. En mars 2016, le film change de nom. Le titre initial était Paris est une fête. Bertrand Bonello choisit de l'intituler Nocturama après que titre initial devienne un slogan en réaction aux attentats du 13 novembre 2015.

Ce film n'est donc pas une fiction inspirée par les attentats terroristes ayant frappé la France depuis janvier 2015. Nocturama était déjà écrit à cette date, et tourné avant les événements de novembre 2015. On peut relever de troublantes convergences entre certains détails et le déroulé des tragédies réelles. Relever, aussi, la pertinence du constat qui sous-tend le film : notre société a fini par devenir une poudrière. Mais Nocturama ne traite pas de l'islamisme. Bertrand Bonello part de l'avant-Charlie. Il voit des jeunes désespérés, toutes catégories sociales confondues: des fils à papa au chemin fléché vers l'ENA, des filles et des garçons d'Aubervilliers ou de Saint-Denis, étudiants, chômeurs, précaires, noirs, arabes, blancs. A peine devine-t-on, grâce à plusieurs flash-back, comment ils se sont liés les uns aux autres. Mais on pressent que leur jugement est sans appel sur le monde qui les attend.

Dans la première partie, la présentation des personnages, imbibée du goût de l’implicite de l’auteur, relève du travail d’orfèvre. Elle est aussi précise, minutée et tendue qu'un film de braquage américain. L'heure apparaît régulièrement en surimpression. Quelque chose d'inéluctable se trame. Les personnages, disséminés dans Paris, du métro aux tours de la Défense, s'affairent, seuls ou à deux, à pénétrer des lieux sécurisés. Mais ce film d'action rappelle aussi, étrangement, le style de deux grands cinéastes français très éloignés de Hollywood : Robert Bresson et Jacques Rivette. Bresson pour la révolte secrète de la jeunesse des années 1970 refusant l'ère de la consommation et de la croissance. Rivette pour l'atmosphère mystérieuse de complot à travers la capitale, pour la fluidité des déplacements, telles des filatures, et les passages de relais. Dans les préparatifs, acteurs et futurs spectateurs de leurs actes explosifs, à la fois si loin si proches de notre monde et du leur, qu’ils réfutent, et regarderont à distance, via les reportages d’info continue sur les écrans télé d’exposition, ils sont les fantômes d’une cité urbaine fantasmagorique, où l’habitant va disparaître, à l’exception marginale de quelques belles rencontres nocturnes, forcément étranges, le clochard Luis Rego, et la cycliste Adèle Haenel.

Dans ces opérations coordonnées, simultanées, l'apparence de maîtrise et de rationalité se fissure peu à peu. Il y a ces selfies improvisés, que prennent les personnages, laissant planer un soupçon d'inconséquence ou, au contraire, de lucidité kamikaze. Il y a ces portes blindées qui ne s'ouvrent pas comme prévu. Puis, déjà, un geste incontrôlé et fatal, immédiatement payé au prix fort. Une fois commis l'irréparable, les jeunes se retranchent dans un grand magasin chic. Ils pensent s'y cacher pour la nuit, avant de pouvoir reprendre le cours de leur vie. Mais dans ce temple des choses, tout se dérègle et devient irréel. Hagards parmi des montagnes d'articles de luxe, incertains du résultat de leurs actions, entre déni et incrédulité, ils transgressent toujours plus leurs règles de survie. Le grand magasin devient alors la métaphore de la société matérialiste qui aimante, à leur corps défendant, ces filles et garçons nihilistes, mais incapables de résister à la tentation d'enfiler vestes et chemisiers de marque.

Peu de psychologie dans Nocturama, si ce n'est une psychologie de l'après : ivres d'alcool hors de prix, grisés par leur pouvoir de destruction (« On aurait dû faire sauter Facebook ! »), terrorisés à l'idée de mourir, les petits criminels deviennent pathétiques, et finalement enfantins. D'autres laissent sourdre momentanément leur angoisse, comme ceux qui se préoccupent un peu naïvement du bilan humain et semblent déconnectés de leurs actes ("Qu'est ce qui s'est passé ?" murmure, interloqué, ce dernier à sa copine quand le groupe se retrouve au magasin). Tous regardent, incrédules et dépassés devant les monstrueux attentats qu'ils ont engendrés, la retransmission des explosions sur BFM TV et les informations au compte-goutte qui commencent à se resserrer sur le lieu de leur retraite.

Ce grand film devait être présenté à Cannes, mais a-t-il effrayé les sélectionneurs? En tous cas Nocturama ne transige pas, y compris dans une ultime séquence violente, aussi jusqu’au-boutiste que l’époque vécue. Ce portrait d'un groupe terroriste, dont certains membres sont des privilégiés, suggère, ni plus ni moins, l'autodestruction de la société.

Distribution

  • Finnegan Oldfield : David
  • Vincent Rottiers : Greg
  • Hamza Meziani : Yacine
  • Manal Issa : Sabrina
  • Martin Guyot : André
  • Jamil McCraven : Mika
  • Rabah Naït Oufella : Omar
  • Laure Valentinelli : Sarah
  • Luis Rego : Jean-Claude
  • Hermine Karagheuz : Patricia
  • Adèle Haenel : La jeune femme au vélo

Fiche technique

  • Réalisation, scénario et musique: Bertrand Bonello
  • Production : Édouard Weil et Alice Girard
  • Photographie : Léo Hinstin
  • Sociétés de production : Rectangle Productions, coproduit par Pandora Film, Scope Pictures et Arte2
  • Durée : 130min
  • Date de sortie : 31 août 2016
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