Oublie-moi

De Cinéann.

Oublie-moi film français de Noémie Lvovsky sorti en 1994.

Analyse critique

Le scénario brutalement résumé n'est pas d'une originalité folle : Incapable d’accepter la fin d’une liaison, Nathalie s’obstine et ne cesse d’envahir le quotidien de son ancien amant, Eric, qui lui a pourtant clairement fait comprendre qu’il aimerait qu’elle l’oublie. Simultanément, Nathalie rejette Antoine, fou amoureux d’elle, et se jette dans les bras de Fabrice qui n’est autre que le compagnon de sa meilleure amie, Christelle. Dans les stations de métro et dans les rues parisiennes, Noémie Lvovsky nous invite à suivre les déambulations de ce personnage qui est de tous les plans.

Mais Oublie-moi est un film remarquable qui mêle habilement les genres et réussit à construire un discours juste et pertinent sur la frustration de ne pas être aimé par celui qu’on aime. Le film trouve sa singularité en ponctuant de répliques décalées et hilarantes comme une discussion sur le cancer sous un abribus, des dialogues dans lesquels les personnages exposent leurs inquiétudes et leur mal-être. Noémie Lvovsky évite ainsi de rendre son film terne et déprimant sans toutefois refuser les séquences plus tragiques, où les mots blessent (« Je ne veux plus te voir », déclare Eric à Nathalie avec un calme et une indifférence dérangeants).

Noémie Lvovsky enregistre la douleur d'aimer, celle de ne plus aimer, celle, enfin, d'un doute obsédant : comment est-on sûr d'aimer ? Le film est une ronde vertigineuse et lancinante, musicale et poétique. Le film débute ainsi par une danse. Nathalie et sa copine Christelle se tortillent bizarrement sur une chanson de Patti Smith. Les yeux dans les yeux, elles tournent l'une autour de l'autre. Puis, dans le métro, Nathalie aperçoit par hasard Eric, celui qui l'a quittée. Le visage de l'héroïne se crispe. Moment d'une justesse incroyable : on sent les palpitations de son cœur, le vacillement de son âme. En deux minutes et sans un mot, on devine qu'elle est folle de cet homme, après l'avoir perdu de vue, elle le rattrape sur un quai. Commence un long dialogue. « Pourquoi ne m'as-tu pas téléphoné », lui demande-t-elle ? Parce que c'est fini. Elle continue d'y croire, l'assaille de questions, s'accroche désespérément.

Dès lors, Nathalie ne cessera plus, tout au long du film, d'aller et venir de manière obsessionnelle, de dériver, de tourner en rond, pour reconquérir cet homme qui ne veut plus d'elle. Elle le harcèle, jour et nuit. Tambourine à sa porte. S'incruste à l'hôpital où il travaille. Noémie Lvovsky se garde bien d'expliquer, de baliser son histoire d'éléments superflus. Au contraire, elle brouille le sentiment de réalité. Elle additionne les ellipses. Ce qui compte, c'est l'instant présent, l'abîme de la séparation, la peur névrotique du silence et de la solitude. On parle beaucoup dans Oublie-moi. Chaque séquence est un face-à-face. Entre Nathalie et Eric ; Nathalie et Antoine, avec qui elle vit ; Nathalie et Christelle ; Nathalie et Fabrice, le compagnon de Christelle. On parle pour conjurer l'angoisse, pour l'éclaircir. Les mots révèlent l'existence des choses. Fabrice se plaint de ne jamais trouver le mot juste, ce qui le sépare des gens. Nathalie, de son côté, s'enferme dans ses propres phrases en espérant résoudre de manière rationnelle ce qui relève du sentiment et de sa disparition.

Inconsolable, en quête d'amour et d'absolu, Nathalie fabrique son propre piège. Elle court au devant des catastrophes, accumule les ruptures avec Eric, puis Antoine, puis Christelle , précipite sa chute, tout près de la folie. Lvovsky filme un processus d'autodestruction. Pas de bonheur ni d'émotions possibles sans désespoir. Si le film est désespéré, il se place aussi résolument du côté de la vie. Sa fin le prouve.

Lvovsky possède un authentique talent de cinéaste et nous plonge dans l'univers mental de son personnage. Chaque séquence est étirée jusqu'à son point limite et menace d'imploser à tout moment, à force de densité. Ce sont des fragments de vie et la forme colle parfaitement au fond. Parce que Nathalie perd le contrôle d'elle-même, les séquences sont saccadées. Parce qu'elle est toujours en équilibre instable, Noémie Lvovsky la filme dans des lieux de passage, des entre-deux, métro, escalier d'immeuble, cabine téléphonique .

La caméra cadre au plus près la violence du sentiment, en isolant cinq personnages, tous assez perdus. Cinq solitudes qui s'expriment différemment à travers cinq acteurs remarquables  : Valeria Bruni-Tedeschi, mais aussi Emmanuel Salinger, Laurent Grévill, Emmanuelle Devos et Philippe Torreton. Oublie-moi n'est pas un film social, mais il se fait aussi l'écho d'une époque où chaque individu, même issu de la petite bourgeoisie, peut rapidement basculer dans la marginalité. Eric travaille, Antoine aussi, sûrement. Pour les autres, Noémie Lvovsky suggère, sans jamais s'attarder, un risque d'exclusion sociale. Quand Nathalie, au comble du désespoir, erre dans Paris, on peut craindre le pire. Quelques plans suffisent pour évoquer un possible déclassement: un homme qui fouille dans une poubelle, un laisser-aller dans la tenue de Nathalie. La force et l'émotion d'Oublie-moi repose sur ses ambivalences, loin des schémas établis. Rares sont les cinéastes qui respectent à ce point les zones d'ombre de leurs personnages, attendant d'eux qu'ils nous révèlent des choses.

Jean-Michel Frodon écrit dans Le Monde, au moment de la sortie du film:
« Oublie-moi est un film violent, sans doute. Un film en colère même, de cette colère qui met Nathalie “hors d’elle” et, en même temps, la fait se renfermer, dans un va-et-vient, un grand écart de tout son être. Un film qui bouge avec les gens, et avec les sentiments des gens, de ces gens-là. L’évidence s’appelle Valeria Bruni Tedeschi. Rarement l’expression selon laquelle un acteur “incarne” un rôle aura été à ce point justifiée. “Sa” Nathalie existe et palpite, quand tout la poussait à être une épouvantable emmerdeuse, son interprète lui rend justice en ses délires et ses atermoiements, elle l’arrache en force et en tendresse à toute caricature pour lui donner le droit d’exister comme elle est. »

Distribution

Fiche technique

  • Réalisation : Noémie Lvovsky
  • Scénaristes  : Marc Cholodenko, Sophie Fillières
  • Producteur : Alain Sarde
  • Musique originale : Andrew Dickson
  • Directeur de la photographie : Jean-Marc Fabre
  • Montage : Jennifer Augé
  • Durée : 1h35
  • Date de sortie : 25 janvier 1995

Récompenses

  • Au Festival international du film de Thessalonique 1994, il a obtenu les prix de meilleur scénario et meilleure actrice (Valeria Bruni Tedeschi).


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