Pas de repos pour les braves

De Cinéann.

Pas de repos pour les braves , film français de Alain Guiraudie, sorti en 2003

Analyse critique

Un jeune homme va et vient devant la fenêtre de sa chambre sans mot dire. Il tourne en rond, occupant par intermittence un plan qui s’éternise pour finalement rompre le silence par un : "Mais c’est pas possible de s’emmerder à ce point !"

Dans un café, lieu de prédilection du quotidien provincial, face à un interlocuteur peu loquace, Basile fait le récit d’un rêve fatal mettant en scène la légende de Faftao-Laoupo : une série d’images défilent sous ses yeux et lui annoncent qu’il est entré dans son avant-dernier sommeil. Si le jeune homme s’endort encore une fois, il mourra. De l’autre côté de la table, Igor ne sait que dire à part répéter bêtement quelques mots prononcés par Basile qui, agacé par ce manque de compréhension, part brusquement. Le ton est donné, à mi-chemin entre l’absurde et le réalisme, à la fois très sérieux et totalement loufoque.

Rêver ou mourir, telles semblent être les conditions de survie d’un jeune provincial craignant de ne jamais sortir de son village natal et de s’y endormir à jamais. Le réalisateur cherche à se réapproprier les choses environnantes et les refaire vivre à sa manière, histoire de ne pas disparaître, histoire d’investir personnellement son lieu de vie . Le défilé d’images du rêve revêt progressivement tout son caractère cinématographique. Las de son vide existentiel, Igor part à la recherche de Basile, qu’il suppose être l’auteur d’un terrible massacre dans un village, et emboîte le pas d’une fiction qui ne cesse de rebondir, bien que paradoxalement nourrie de remarques qui tombent à plat.

Plus intrigante que le rêve de Faftao-Laoupo, cette étrange tuerie, dont rien ne témoigne à l’image, fait de son décor un lieu identique à ce qu’il était avant les événements ("C’est pareil mais sans les gens"), on voit juste un plan vide qui confère à ce fait divers une dimension symbolique de meurtre du réel. Basile devient Hector, et l'image passe régulièrement avec lui du Village-qui-meurt, où habite son compagnon "fatigué", au Village-qui-rit et à son café.

La force de Guiraudie est de transformer un vide apparent, l’ennui provincial, en un lieu fertile en aventures, sans jamais exprimer le moindre mépris pour sa région. Il utilise un faux exotisme ironique, de Bairoute à Riaux de Janerrot, où se mêlent références au cinéma de genre américain et accent local, où film noir rime avec terroir. Car "rêver ce n’est pas dormir", et si Basile ne dort pas par peur de mourir, en revanche il rêve beaucoup. Alain Guiraudie se distingue par une qualité précieuse, celle de lier un sens singulier du visuel et du parlé à un véritable intérêt pour les autres et de rendre impossible toute dissociation entre son talent de cinéaste et ses qualités humaines.

« Ne pas se fier au tiroir “Cinégay”. Si, ici, des hommes couchent avec des hommes, Pas de repos pour les braves est un film foisonnant, d’une liberté et d’une polyphonie qui excèdent toutes les catégories. Polar, road-movie, fantaisie régionale, documentaire slacker, dialogue philosophique, tout cela, et plus, désigne ce film où les t-shirts sont jaunes, les boots bleues, les chemises roses, les R16 orange, quadrillant un Sud-Ouest cocassement réinventé aux dimensions du monde. »
Serge Kaganski, Les Inrockuptibles

Distribution

  • Thomas Suire : Basile/Hector
  • Thomas Blanchard : Igor
  • Laurent Soffiati : Johnny Goth
  • Vincent Martin : Bodowski
  • Pierre-Maurice Nouvel : Sorano
  • Roger Guidone : Roger
  • Nicole Huc : Lydie
  • Jean-Claude Baudracco : Dede

Fiche technique

  • Réalisation : Alain Guiraudie
  • Scénario : Alain Guiraudie et Frédéric Videau
  • Producteurs : Jean-Philippe Labadie; Nathalie Eybrard
  • Photographie : Antoine Héberlé
  • Musique : Teppaz et Naz
  • Montage : Pierre Molin
  • Durée : 104 minutes
  • Date de sortie : 20 mai 2003 (Festival de Cannes, Quinzaine des réalisateurs)
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