Polisse

De Cinéann.

Polisse film policier français écrit et réalisé par Maïwenn Le Besco, sorti en 2011.

Analyse critique

Les policiers de la Brigade de protection des mineurs de Paris luttent contre les innombrables vicissitudes subies par les enfants : traque de pédophiles, appréhensions de parents soupçonnés de maltraitance avec témoignages d'enfants à l'appui, suivi d'adolescents pickpockets ou en dérive sexuelle. Plongés dans cet univers délétère, ces policiers tentent d'accorder leur dur labeur quotidien avec leur vie privée. Une jeune photographe est envoyée faire un reportage photo dans l'unité en charge des affaires de mœurs.

Maïwenn traque les émotions avec acharnement, et sa mise en scène est le prolongement de son énergie. Polisse est un kaléidoscope du quotidien tragi-comique d'une section de la BPM (la brigade de protection des mineurs) qui traite d'affaires de pédophilie, d'inceste, de maltraitance, et autres violences morales et physiques commises sur les moins de 18 ans.

On pouvait craindre une sensation de déjà-vu, avec les séries télé qui collent au train de flics aux traits tirés, gorgés de caféine et en bisbille avec leur hiérarchie. Mais, avec Maïwenn, une fois encore, rien ne ressemble à ce qu'on attend. Grâce à son sens du détail insolite et à son talent inné pour le désordre organisé, toutes les scènes, collectives ou intimes, des plus dures aux plus cocasses, percutent. Un petit Africain est arraché à sa maman, qui veut le sauver de la misère, pour être placé dans un foyer. Il hurle. Longtemps. Plus tard, une gamine est interrogée : pourquoi a-t-elle accepté de faire une fellation à plusieurs garçons ? Sa réponse est choquante et hilarante, pour récupérer son portable... et devant l'étonnement des policiers, elle précise: mais c'était un très beau portable!

Ce moment où la réalisatrice ose faire reposer le comique sur le sordide est un précipité révélateur de notre société où les jeunes, privés de repères, en viennent à mépriser, marchander leur propre corps. Polisse assène ainsi nombre de vérités : il n'est pas facile d'être flic quand on est femme et beur. Les flics sont, eux aussi, des parents aux entrailles nouées par la peur, car ils savent mieux que quiconque que le mal peut surgir à chaque coin de rue. Qu'un bébé peut être enlevé dans une crèche parce que la serrure de la porte d'entrée n'a pas été réparée. Et que la pédophilie s'exerce aussi dans des appartements des beaux quartiers, où les pervers se croient intouchables. Alors, il faut décompresser : au coeur du film, comme une respiration, la brigade au grand complet, solidaire, danse à perdre haleine dans une boîte de nuit, sur Stand on the word, de Keedz, formidable morceau techno au choeur d'enfants. Se dépenser, suer le plus possible pour se laver de tous ces malheurs qui collent à la peau...

Dirigés comme des bêtes en cage, les acteurs sont tous impressionnants : Karin Viard, Emmanuelle Bercot, qui a cosigné le scénario ; Marina Foïs, dure et fermée. Et puis il y a Joey Starr : il explose dans le rôle de Fred, le policier incapable de se résigner face au manque de moyens alloués à la brigade. D'entrée, son coup de gueule contre une adolescente ordurière impose l'identité du film : « Ferme ta gueule, on est à la police, ici, d'accord ?! » .

Maïwenn, comédienne, ne s'est pas donné le meilleur rôle: une photographe bobo engagée pour prendre des clichés de la brigade et qui revient habiter les quartiers populaires en tombant amoureuse de Joey Starr. Témoin étranger à ce groupe soudé, planquée derrière son objectif, elle endosse notre sentiment de voyeurisme, nous en absout. Et elle finit par faire totalement corps avec cette brigade.

Déclarations de Maïwenn Le Besco

Je suis tombée sur un documentaire à la télévision sur la Brigade des Mineurs (BPM) qui m’a totalement bouleversée. Dès le lendemain matin, j’ai appelé la chaîne pour contacter le réalisateur du documentaire : je voulais savoir comment faire pour rencontrer les policiers de la Brigade des Mineurs. Avant d’être certaine de vouloir écrire un scénario sur la BPM, je sentais qu’il fallait que je connaisse la vie de ces policiers. Je voulais donc passer du temps à la Brigade pour les écouter et les observer. Mais ça a été une démarche longue et difficile. Une fois que j’ai obtenu l’autorisation de suivre ce «stage», je n’ai pas arrêté de passer d’un groupe à un autre en prenant des notes : j’étais comme une éponge pour m’imprégner au maximum de ce que je voyais. Même pendant les trois heures de pause-déjeuner, ou le soir, au moment de l’apéro, je ne les lâchais pas pour ne rien perdre de leurs discussions, et je posais des milliers de questions.

Je suis partie uniquement d’histoires dont j’ai été témoin ou que les policiers m’ont racontées : j’ai modifié certaines affaires, mais je n’en ai inventée aucune. En réalité, j’avais une liste exhaustive de ce que peut être le quotidien de la BPM et je voulais à tout prix que cette liste soit complète : je souhaitais parler d’un pédophile, d’inceste au sein d’une famille bourgeoise, de la situation des ados etc. Par ailleurs, c’était important pour moi de montrer que lorsque les policiers traitent une affaire, ils la suivent jusqu’au bout de la garde à vue, mais n’ont pas forcément le résultat du jugement : ils ont souvent besoin d’enchaîner les affaires pour ne pas y mettre trop d’affects. C’était donc un vrai parti pris de ne pas donner d’informations sur le sort de tel ou tel prévenu car c’est comme cela que le vivent les policiers.

Cette brigade, c'est aussi un état des lieux sur la sexualité chez les adolescents. A mon époque, une fellation, c'était pornographique. Là, c'est comme un petit bisou sur la joue. J'ai pris un gros coup de vieux. Ma collaboration avec Emmanuelle Bercot m’a été d’une grande richesse. Je crois qu’on était très complémentaires. Elle m’a apporté beaucoup de «réalisme», et d’ailleurs sa formule fétiche c’était : «ça fait vrai», et moi je cherchais sans arrêt à amener une touche d’humour, car c’est ce qui m’a frappée quand je suis arrivée à la BPM : j’ai compris que l’humour est leur seule arme contre la misère humaine.

Ce qui m’intéressait, c’était le fonctionnement quasi familial de la brigade : les policiers sont du matin au soir ensemble, y compris pour le petit déjeuner et l’apéro ! Ce qui n’empêche pas les rapports d’être parfois tendus car il y a pas mal de rivalités et d’histoires d’amour. Il faut bien voir que beaucoup de policiers de la BPM sont des femmes et qu’elles ont quelque chose à prouver que n’ont pas forcément les policiers hommes. Les petites et les grandes lâchetés de la hiérarchie face à un prévenu influent existent. Un homme très haut placé qui avait violé sa fille pendant de nombreuses années s’en était sorti grâce à son statut et à ses connaissances. Même si le commissaire divisionnaire m’a affirmé que ce type d’injustice appartient au passé et n’arriverait plus aujourd’hui, il serait malhonnête de dire que les prévenus sont tous traités de la même manière.

Les policiers de la BPM sont quasiment snobés par les autres services ! D’ailleurs on les surnomme : «la brigade des biberons.» Je trouve aberrant qu’on donne davantage de moyens à la Brigade des stupéfiants, même si celle-ci fait un travail essentiel, qu’à la Brigade qui s’occupe de la protection de tous les enfants et ados de Paris ! Un bébé secoué ? C’est eux. Le suicide d’un ado ? C’est eux. Une fugue ? C’est encore eux. Petite précision : la Brigade de Protection des Mineurs ne s’occupe exclusivement que des mineurs victimes. Si un mineur commet un délit sur un adulte, il sera envoyé à la brigade rattachée à la nature de son délit. Mais parfois, les mineurs pensent qu’ils sont coupables, alors qu’ils ne sont en réalité que des victimes : c’est le cas du pickpocket dans le métro. Ce sont des mineurs exploités, donc des victimes, et donc c’est la BPM qui se charge d’attraper ceux qui les exploitent. Ce qui rend leur boulot très complexe, car les exploiteurs sont les parents. Ils passent donc leur temps à attraper soit les parents, soit un frère, un oncle, un professeur. C’est ça la complexité de leur boulot : faire comprendre aux magistrats que l’inceste, le viol, ou la maltraitance, ont bien eu lieu dans cette famille, et sans violence. La violence peut être très silencieuse, c’est la pire des violences, je pense d’ailleurs. Celle qui ne s’entend pas.

Il y a comme un effet miroir entre la vie professionnelle de ces flics et leur vie personnelle. Par exemple, je me souviens d’un policier qui me racontait que, depuis qu’il travaillait à la BPM, il n’osait plus faire de chatouilles à sa fille. Du coup, chaque geste est pesé, pensé, réfléchi, de manière évidemment excessive. C’est ce qu’on voit lorsque Joeystarr donne le bain à sa fille.

Pour moi, le plus important, c’est que la caméra soit la moins encombrante possible et qu’elle aille chercher les acteurs, et non pas l’inverse. Mon obsession est donc de faire oublier la caméra aux comédiens. Mais je n’ai pas de méthode particulière pour y parvenir : je m’adapte à chaque acteur, et à chaque situation, car je dois composer systématiquement pour que la mise en scène soit la plus «invisible» possible. On a tourné la plupart du temps à deux caméras numériques, et plus rarement trois car les décors étaient assez exigus. J’ai demandé à mes cadreurs Pierre Aïm, Claire Mathon et Jowan Le Besco de «sentir» les émotions, de vivre avec les acteurs.

Distribution

  • Karin Viard : Nadine
  • JoeyStarr : Fred
  • Marina Foïs : Iris
  • Nicolas Duvauchelle : Mathieu
  • Maïwenn Le Besco  : Mélissa
  • Karole Rocher : Chrys
  • Emmanuelle Bercot : Sue Ellen
  • Frédéric Pierrot : Balloo
  • Arnaud Henriet : Bamako
  • Jérémie Elkaïm : Gabriel
  • Naidra Ayadi : Nora
  • Riccardo Scamarcio : Francesco
  • Sandrine Kiberlain : Mme de la Faublaise
  • Wladimir Yordanoff : Beauchard
  • Louis-Do de Lencquesaing : M. de la Faublaise
  • Carole Franck : Céline
  • Laurent Bateau : Hervé
  • Anne Suarez : Alice
  • Anthony Delon : Alex

Fiche technique

  • Réalisation : Maïwenn Le Besco
  • Assistant réalisation : Frédéric Gérard
  • Scénario : Maïwenn Le Besco et Emmanuelle Bercot
  • Photographie : Pierre Aïm
  • Montage : Yann Dedet et Laure Gardette
  • Producteur : Alain Attal
  • Directeur de production : Xavier Amblard
  • Durée : 127 minutes
  • Dates de sortie : 13 mai 2011, Festival de Cannes; 19 octobre 2011 en salles
  • Récompense  : Festival de Cannes 2011 : Prix du Jury


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