Rois et Reine

De Cinéann.

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Rois et Reine, film français réalisé par Arnaud Desplechin sorti en 2004.

Analyse critique

Dès les premières images, un taxi s'arrête dans un quartier chic de Paris. Nora, la "Reine" en sort, fixe la caméra et se raconte, on pense tout de suite au début de "La Femme d'à coté" de François Truffaut. Elle a 35 ans. Après un veuvage rapide qui lui a laissé un fils, et une séparation, houleuse, elle va épouser un homme riche et posé. Elle est à l'abri du besoin et de l'obligation de travailler et pense vivre, enfin, en paix. Mais une série de plans heurtés contredit cette impression de luxe, de calme et de volupté et suggère les blessures de Nora, prêtes à se réveiller.

Les "Rois" sont d'emblée présentés comme plus fragiles, comme Ismaël, musicien dans un quatuor classique. Il est couvert de dettes, un peu "border-line", le désordre et le nœud coulant dans son appartement ne plaide pas en sa faveur. À la suite d'une procédure d'HDT, hospitalisation demandée par un tiers (mais qui donc a signé les papiers ?), deux infirmiers affables, soutenus, de loin, par un discret commissaire de police, viennent le cueillir chez lui pour l'amener à l'asile. « Enfin, je ne suis pas fou, tout de même », proteste Ismaël, attaché sur son lit, devant ses parents venus le voir de Roubaix. « Si, un petit peu », répond gentiment le père qui refuse de détacher son fils ! Devant la psychiatre (Catherine Deneuve, improbable mais savoureuse), Ismaël, en roue libre, explose. Comment pourrait-il lui dévoiler son âme ? Elle n'est qu'une femme, et, reprenant la théorie de l'Église au Moyen-Age, « les femmes n'ont pas d'âme. Elles vivent dans des bulles, les femmes. Les hommes, eux, vivent sur une seule ligne droite. Ils vivent pour mourir... ».

Deux histoires parallèles, la vie de Nora, qui s'apprête à se marier avec un homme riche et lointain, et l'internement dans un hôpital psychiatrique d'Ismaël se rejoignent lorsque Nora propose à Ismaël d'adopter son fils unique d'une dizaine d'années Elias. Elias est né d'un premier mariage où le mari est mort avant la naissance. Ismaël, deuxième compagnon de Nora, a élevé en partie l'enfant. Cette proposition vient après l'annonce de la mort prochaine du père de Nora auquel elle était très attachée.

C'est assez loin dans le film que l'on comprend que Ismaël a été le compagnon de Nora, qu'elle essaie de l'aider pour sortir de l'asile et va même lui proposer d'adopter son fils Elias.

Le scénario alterne scènes tragiques et scènes burlesques. Certaines scènes sont délibérément irréalistes (par exemple la lettre du père de Nora, l'éviction d'Ismaël du quatuor, le braquage de l'épicerie, ou la fête chez l'étudiante). Ainsi, l'inconscient n'est pas refoulé, la potentialité se retrouve au centre de la construction du scénario.

L'attitude toujours retenue et à la limite de la perfection de Nora aboutit à un emportement de haine post-mortem de la part de son père, qu'elle ne peut supporter même physiquement. Toutefois, on pressent que sous cette attitude se cache une envie de vivre autre chose, le choix de ses deux premiers compagnons, marginaux, montre qu'elle aurait pu vivre une autre vie. Nora est une sainte ou une vierge Marie, une Léda, que Dieu a visitée en lui donnant un Elie. La lecture du scénario éclaire les dessous du film et lève (un peu) le voile sur l'identité de la vraie Nora et son lien avec l'Antiquité grecque et romaine, particulièrement présente dans le film.

Le film est à voir en parallèle à Léo, en jouant dans la compagnie des hommes, dont il est le pendant. Les deux films forment un diptyque.

Marianne Denicourt, qui fut la compagne d'Arnaud Desplechin au début des années 1990, a cru se reconnaître dans le personnage de Nora. Elle a reproché au cinéaste l'utilisation d'éléments douloureux de sa vie privée et de leur vie commune.

Les personnages secondaires sont importants dans ce long récit: Roi mourant, le père de Nora, ne survit plus que pour un manuscrit qu'il doit achever et répond à l'amour de sa fille par une critique violente et étonnante de ses choix. Roi transparent, le nouveau mari de Nora se révèle inapte maîtriser la situation. La sœur de Nora, Élisabeth, marginale et droguée, incapable d'affronter la vérité et son avocat camé.


Et puis le film évolue sensiblement. L'internement d'Ismaël n'est pas si tragique. Il est à l'abri de ses créanciers et s'adapte à cette vie en nouant des relations avec une infirmière et une jeune fille attachante et suicidaire. Finalement, une fois libéré, il refuse, en pleine lucidité et avec une justesse de ton remarquable, d'assumer pour Elias le rôle du père introuvable.

C'est le film le plus accompli et travaillé d'Arnaud Despleschin. C'est un récit baroque, la synthèse fragile mais réussi de la tragédie pure et réaliste et de la comédie absurde et délirante, comme cette scène où le père bedonnant d'Ismaël met en fuite 3 loubards violent venus le braquer devant les yeux de son fils. Le cinéaste ne cache pas sa cérébralité mais parvient constamment à l'émotion. Paradoxalement, plus il théorise, plus il nous sensibilise. Ses obsessions (la filiation, par exemple, fil rouge de l'histoire) nous deviennent familières. Ses mises en scène, dont les zigzags accentuent la fluidité et ses personnages, qui ont l'élégance et l'intelligence de nous demeurer opaques longtemps après qu'on les a quittés nous deviennent ainsi familiers mais jamais triviaux.

Emmanuelle Devos déclare: "Nora est une parabole de la culpabilité. Arnaud Desplechin lui a sans doute donné ce prénom en référence au personnage d'Ibsen dans La Maison de Poupée. Je me suis souvenu d'un soir, il y a quelques années, nous regardions avec Arnaud «Tess», le film de Polanski, et il m'a dit à propos du personnage interprété par Nastassja Kinski, «si elle est tombée enceinte, c'est un peu de sa faute». Comme si la femme portait cette idée de péché… Ce n'est pas de la misogynie de sa part, je pense plutôt qu'il a un intérêt profond à la littérature et à la cinématographie de l'Europe centrale et nordique, au protestantisme."

Distribution

  • Emmanuelle Devos : Nora Cotterelle
  • Mathieu Amalric : Ismaël Vuillard
  • Jean-Paul Roussillon : Abel Vuillard, le père d'Ismaël
  • Catherine Rouvel : Monique Vuillard, la mère d'Ismaël
  • Maurice Garrel : Louis Jennsens, le père de Nora
  • Valentin Lelong-Darmon : Élias, le fils de Nora
  • Magali Woch : Arielle Phénix, la « chinoise »
  • Catherine Deneuve : Docteur Hélène Vasset
  • Hippolyte Girardot : Maître Marc Mamanne
  • Noémie Lvovsky : Élisabeth, la sœur d'Ismaël
  • Nathalie Boutefeu : Chloé Jennsens, la sœur de Nora

Fiche technique

  • Réalisation : Arnaud Desplechin
  • Scénario : Arnaud Desplechin et Roger Bohbot
  • Directeur de la photographie : Éric Gautier
  • Montage : Laurence Briaud
  • Musique originale : Grégoire Hetzel et DJ Mehdi
  • Producteur : Pascal Caucheteux
  • Production déléguée : Why Not Productions
  • Durée : 150 minutes
  • Dates de sortie : Canada : 10 septembre 2004
    • France : 22 décembre 2004

Récompenses

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