Sieranevada

De Cinéann.

Sieranevada , film roumain de Cristi Puiu, sorti en 2016

Analyse critique

Après La Mort de Dante Lazarescu (2005), road-movie halluciné et hallucinant autour d’un malade sur un brancard d’urgences, Cristi Puiu retrouve la thématique de la mort, mais cette fois-ci vue du côté des survivants. A Bucarest, Lary, un docteur en médecine, va passer son samedi au sein de sa famille réunie à l’occasion de la commémoration du premier anniversaire de la mort de son père. Cette fin de deuil obéit à un double impératif. La nourriture doit être bénie par le pope local, et celui-ci est très en retard, ce qui justifie l'étirement en longueur du film, et le fait que les invités ont juste le droit de grignoter en attendant. De plus le fils du mort doit le réincarner, en portant un costume neuf semblable à celui du défunt et prononcer des paroles rituelles. Mais le costume est trop grand, ce qui apporte des moments comiques.

Hormis quelques rares scènes d'extérieur, tous se déroule dans un appartement de la banlieue de Bucarest, avec une caméra légère et un manque de recul. Tout tourne autour d’un axe, celui du centre de l’appartement, un dégagement sur lequel donnent toutes les pièces. Parfois on y pénètre, dans ces pièces, pour une ou deux scènes, mais la plupart du temps, la caméra reste au centre. Elle semble vivante. Elle hésite, suit un personnage puis un autre.

Tout tourne autour d’un axe, celui du centre de l’appartement, un dégagement sur lequel donnent toutes les pièces. Parfois on y pénètre, dans ces pièces, pour une ou deux scènes, mais la plupart du temps, la caméra reste au centre. Elle semble vivante. Elle hésite, suit un personnage puis un autre.

Tous les membres de la famille s’y croisent, ainsi que leurs névroses multiples et souvent compliquées, et le personnage central du film, un médecin prénommé Lary, considéré par tous comme une sorte de parangon de réussite (on découvrira que les choses sont plus compliquées) tente de résoudre tous les problèmes, de calmer les hystériques, de ne pas trop s’énerver contre sa mère, de soigner les malades, de rire de cette situation étouffante.

On passe ainsi de la cuisine à la salle de séjour, en passant dans les diverses chambres, sans entrer parfois à l’intérieur des pièces. La caméra passera dans un mouvement incessant d’un personnage à un autre, adoptant implicitement le regard du mort, observant comme dans un aquarium, à la manière de Flaubert, les conflits et les discussions entre les membres de cette famille, microcosme d’une société roumaine en plein trauma.

le film met en lumière les traumatismes intimes et politiques d’une famille roumaine, trois jours après l’attentat contre Charlie Hebdo. La peur règne chez certains des membres, les théories conspirationnistes se répandent au sujet du 11 septembre. Entre une personne rongée par la drogue, un vieux couple déchiré par la jalousie et des frères qui ne sont plus sur la même longueur d’onde.

L'originalité du travail de Puiu, c’est la retranscription d’un temps quasi réel, où le récit se donne dans une seule et longue coulée, qui a valeur de révélation lente. Ce qui est révélé, c'est la cartographie des affects et ressentiments, parfois historiques comme entre la grand-mère communiste et la petite-fille nostalgique de la monarchie des Hohenzollern-Sigmaringen, qui lient, souvent douloureusement, les individus à la collectivité.

Dans ce ballet désordonné, chacun cherche sa vérité. En réaction aux cris, aux larmes, aux tourments, aux ridicules des uns et des autres, Lary aide, ne dit rien, esquisse un sourire, ou éclate d’un fou rire, irrépressible, qui marque alors comme une trêve passagère. Ceci symbolise le détachement souverain de Lary, sa position, qui n’est pas de surplomb, ni compatissante, mais philosophique. Ce rire splendide renvoie toutes les passions domestiques, comme les pesanteurs du récit, au rang des plus fugaces vanités.

« Sieranevada nous parle de tout ce qui « traverse » les familles dans notre monde d’après le 11-Septembre : complotisme, rébellion, traditionalisme, bigoterie, repli, xénophobie, préjugés, patriotisme, etc. Et c’est précisément à ce motif de « traversée » domestique que s’attache la mise en scène de Puiu, vissée la plupart du temps dans le couloir de l’appartement, d’où elle saisit les passages et trajectoires de chacun, du salon aux chambres, des scènes aux coulisses, comme une étourdissante et virtuose symphonie de mouvements. »
Mathieu Macheret, Le Monde, 12 mai 2016

Distribution

  • Mimi Branescu : Lary
  • Catalina Moga : Laura, la femme de Lary
  • Ioana Craciunescu : Madame Popescu, la mère de Lary, Relu et Gabi
  • Bogdan Dumitrache : Relu
  • Rolando Matsangos : Gabi
  • Judith State : Sandra, la femme de Gabi
  • Ana Ciontea : Tante Ofelia
  • Sorin Medeleni : Toni, le mari d'Ofelia
  • Marin Grigore : Sebi, le fils de Tante Ofelia et Toni

Fiche technique

  • Scénario et réalisation : Cristi Puiu
  • Photographie : Barbu Balasoiu
  • Montage : Letitia Stefanescu, Ciprian Cimpoi, Iulia Muresan
  • Production : Mandragora, Produkcija 2006 Sarajevo, Lucian Pintilie, Sisters &Amp; Brother Mitevski, Spiritus Movens, Iadasareacasa, Alcatraz Film
  • Pays de production : Roumanie, France, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Croatie
  • Durée : 173 minutes ( 2h 53 )
  • Dates de sortie : 12 mai 2016 (Festival de Cannes 2016), 3 août 2016 (sortie nationale)



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