Terre promise

De Cinéann.

Terre promise (Promised Land) (en hébreu הארץ המובטחת), film franco-israélien d'Amos Gitaï sorti en 2004.

Analyse critique

La nuit tombée, dans le Sinaï, des femmes et des hommes conversent dans le désert au coin du feu. Cette première séquence fugitive rappelle Kedma, un précédent long métrage d’Amos Gitaï sur l’arrivée des premiers rescapés des camps de concentration en Palestine, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Sauf qu’il ne s’agit pas ici d’une nouvelle reconstitution historique mais bien d’une réalité contemporaine. Huit filles estoniennes, dont Diana, Katya, Kristina, sont autour d’un feu de camp, encadrées par quelques Bédouins. L’un d’eux choisit calmement la plus jeune pour l’entraîner à l’écart et la violer sans trop de résistance. Ces filles ont quitté leur pays dans l’espoir d’une vie meilleure, comptant se bâtir un pécule en quelques années avec le travail d’hôtesse qu’on leur a promis. Venues clandestinement du Caire, elles sont, dès le lendemain, amenées en camionnette sur les lieux d’une vente aux enchères où tournent les voitures des clients potentiels russes, israélien, menée de manière sordide mais de main de maître par Anne, pour le compte d’Hanna, sa patronne.

Elles sont ensuite acheminées comme du bétail au lieu de leur esclavage, un club situé à Ramallah où, dès leur arrivée, elles sont déshabillées et passées au jet. Traumatisée et en pleurs, Diana est réconfortée par la mère maquerelle Hanna qui, tout en la maquillant, lui raconte sa propre histoire. Jeune allemande, elle a émigré vers Israël par amour pour un homme qui s’est détourné d’elle. Elle s’est mise alors en affaires avec Yussuf et ils contrôlent tous deux le marché de la prostitution, elle le Sud, lui le Nord.

Très documenté, le film est conçu comme une succession de scènes chocs: le choix des prostituées en pleine nuit par les différents marchands d’esclaves, une horrible douche collective, le maquillage minutieux opéré par la maquerelle en chef ou encore la première nuit de travail dans un obscur tripot en bord de mer. Amos Gitaï accompagne un temps quelques femmes pour finalement se concentrer sur deux d’entre elles: Diana, une jeune Russe perdue loin de sa terre natale et Rose au passé énigmatique, ange blond entiché d’un voyou, témoin fasciné par cette traite des blanches.

Lors d’une soirée, une jeune femme, Rose, déjà présente à la vente aux enchères, se rend au club où officient les filles. Diana en profite pour la sensibiliser à leur calvaire quotidien et dénonce le trafic dont elles font l’objet. Elle lui demande instamment d’intervenir, de l’aider à s’échapper. Rose quitte le club ébranlée. Les filles, transférées à Haïfa dans un autre bordel, font l’objet d’une nouvelle évaluation sous la férule de Yussuf. Pendant que Rose, qui les accompagne, discute avec Diana, dont elle s’est rapprochée, une déflagration due à un attentat pulvérise le bar où elles se trouvent. D’abord interloquée, Rose profite de la panique pour s’éloigner et reconnaître le terrain, puis revient chercher Diana qui, prostrée et hébétée, ne songeait même plus à s’enfuir. Ironiquement, c'est un attentat terroriste qui va permettre à ces deux jeunes filles d'espérer la liberté.

Terre Promise est un film dur. Amos Gitaï plonge le spectateur dans un enfer parfois visuellement à la limite du soutenable. Dans ce chaos frénétique, les moments de répit sont rares et poétiques: Diana et Rose attendant leur bourreau, un chat dans la neige, une chorale dans une église orthodoxe, des sourires partagés. Et sans prononcer un mot, les deux jeunes filles scellent leur destin futur dans cette évocation d’un passé lointain et heureux.

Terre promise doit son titre ironique au bordel auquel sont assignées les jeunes filles. C'est un film militant, choquant, saisi dans l’urgence, caméra au poing. Une nouvelle fois, Amos Gitaï réveille les bonnes consciences de son pays en montrant une vérité cachée et sordide, même si (par peur de la censure ?), il n'implique pas de vrais Israéliens, mais des Bédouins, des Russes... Pour mieux coller à la peau de ses personnages, le cinéaste abandonne ses habituels partis pris de mise en scène, constitués de plans-séquences très élaborés. Il profite de la souplesse des caméras DV pour donner une vertigineuse impression de réel. Le magnifique travail de la chef opératrice française Caroline Champetier, diffuse une atmosphère onirique, primitive, qui accentue le malaise et renforce le contraste entre la douceur des corps féminins et la brutalité des hommes.

« Trente-sixième film d’Amos Gitaï. Peut-être aussi son meilleur. Celui qui contient, en puissance et en cru, ces lignes de destins que le cinéma de Gitaï est un des seuls à oser suivre : celles d’humains nés au mauvais endroit au mauvais moment, coincés entre l’exil volontaire et le ballotage géopolitique qui les rabaisse au rang de marchandises. Esthétiquement, on retrouve avec une force renouvelée cette structure de film si particulière où tout se joue sur l’étirement de sept ou huit séquences en autant de chocs. »
Philippe Azoury, 12.01.2005 Libération

Distribution

Fiche technique

  • Réalisateur : Amos Gitaï
  • Scénariste : Marie-Jose Sanselme
  • Producteur : Amos Gitaï et Michael Tapuach
  • Directeur de la photographie : Caroline Champetier
  • Montage : Isabelle Ingold
  • Durée : 90 minutes
  • Date de sortie : 7 Septembre 2004 (Venise)
    • France : 12 janvier 2005

Distinction

  • CinemAvvenire Award lors du Festival de Venise 2004.


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