Thérèse Desqueyroux (2012)

De Cinéann.

Thérèse Desqueyroux film français réalisé par Claude Miller, sorti en 2012. Cette ultime réalisation de Claude Miller, mort en avril 2012, a fait la clôture du festival de Cannes 2012.

Analyse critique

Le film débute dans les Landes, au milieu des années 20, soit au moment de la parution du roman de Mauriac. Contrairement au roman et au film de Georges Franju, Thérèse Desqueyroux (1962) , qui débutaient par un long flash-back à partir du verdict du procès, Claude Miller adopte un récit linéaire qui commence avec l'adolescence et l'amitié intense entre Anne et Thérèse.

Chez Mauriac et chez Franju, le retour du tribunal à Argelouse occupe la première moitié du récit où Thérèse se retourne sur son passé. Cette traversée nocturne de la forêt landaise et la connaissance immédiate de l’acte de la jeune femme donnaient beaucoup de gravité au film de Franju. En optant pour un récit linéaire, Miller édulcore un peu, en remplaçant la nuit par la lumière des Landes.

Le film garde néanmoins la force du propos sur la pesanteur des conventions et toute la part de mystère du personnage titre. Thérèse n'est pas une sainte. Elle est consciente, au départ, de son rang et de sa fortune. Après un long flirt chaste, elle épouse Bernard Desqueyroux, le frère d'Anne, son amie d'enfance. Les deux familles ne voient que des bienfaits dans cette union qui leur permet d’augmenter leur patrimoine respectif et de réunir les deux plus belles forêts de la région.

Insensiblement lui viennent le dégoût de son mari et de ce milieu étriqué, peu cultivé et nettement antisémite, auquel elle croyait sincèrement appartenir corps et âme. Elle regrette son adolescence heureuse en compagnie d'Anne pour qui elle éprouva un sentiment passionné et ambigu, bien que chaste. Elle s'acquitte sans émotion d'une mission pour détruire l'amour qui unit Anne à Jean Azévédo, jeune israélite bordelais, victime des préjugés antisémite de la famille. Ce dernier cultivé et passionnant pourrait devenir son amant, mais elle ne franchit pas le pas.

Progressivement, Thérèse Desqueyroux, devenue mère, sombre dans une dépression légère, ses maladroites tentatives de rébellion lui valent de connaître un sort plus sinistre encore. Thérèse brûle du dedans, comme les pins landais et les héroïnes de Racine, qui pleurent des larmes sèches au point de s’enflammer : « j’ai langui, j’ai séché, dans les feux, dans les larmes ».

Quand le médecin prescrit une ordonnance à base d'arsenic à Bernard, Thérèse, à l’occasion du trouble provoqué par un grand incendie, verse quelques gouttes en plus dans son verre. Puis falsifie une ordonnance pour augmenter encore la dose. La suite du film relate sa douce descente aux enfers, elle est accusée, mais son mari, rétabli, témoigne en sa faveur, la communauté familiale voulant la sanctionner tout en préservant les apparences.

Par rapport au roman, Bernard est montré avec un peu plus d’humanité ce qui accentue le doute du spectateur quant aux intentions véritables de Thérèse. À l’instar des personnages de Charlotte Gainsbourg dans L'Effrontée ou Michel Serrault dans Mortelle randonnée, Thérèse est une incomprise qui manifeste un trouble obsessionnel. La fixation de l’adolescente sur une pianiste prodige, ou l’obstination du détective à protéger une criminelle qu’il identifie à sa propre fille rejoignent ici le désenchantement d’une femme frustrée d’amour et de reconnaissance dans un monde où elle se sent anéantie, et qui décide par un geste fatal de tirer une sonnette d’alarme.

La fin garde son mystère, le film se termine sur une silhouette qui, en citant Mauriac, « joues et lèvres fardées », « après avoir un peu bu et beaucoup fumé », marche « dans les rues au hasard ».

Comme dans Un secret, d’obscures histoires de famille révèlent l’inquiétante manipulation exercée par la parentèle pour garder un semblant de respectabilité. Thérèse Dequeyroux est donc bien réapproprié par le cinéaste qui ne tombe jamais dans l’illustration académique : le soin pictural accordé aux décors et costumes, ou les cadrages d’intérieur et d’extérieur, loin de glacer le dispositif, cernent au plus près l’enfermement, au sens figuré puis au sens propre, d’une héroïne meurtrie. Audrey Tautou trouve ici l’une de ses meilleures compositions et est bien épaulée par des seconds rôles inspirés, dont Isabelle Sadoyan en tante Clara et Francis Perrin en Monsieur Larroque. Le retour à Cannes, à titre posthume, de Claude Miller, quatorze ans après La classe de neige, était mérité et Thérèse Desqueyroux clôturait avec cohérence une filmographie riche, atypique et souvent sous-estimée.

Déclarations

Audrey Tautou évoque les intentions de son metteur en scène disparu :

« La modernité du roman justifiait l’intérêt de Claude et son désir de l’adapter. Il n’y a malheureusement rien de poussiéreux dans l’univers de “ Thérèse Desqueyroux ”. Des femmes comme elle, il en existe toujours. Des gens qui subissent un destin tragique à cause de leur famille, de l’hypocrisie, des conventions. Des gens qui passent à côté de leur vie sans jamais avoir le courage de s’extraire ou de s’opposer.

À part les calèches et les costumes, il n’y a pas de différences entre la réalité de Thérèse et celle vécue aujourd’hui par beaucoup de femmes, ainsi que par certains hommes… »

« Dans l’univers de Thérèse, rien ne passe par le verbe. Elle a compris qu’il ne servait à rien de parler. Non seulement personne ne l’écoute, mais de surcroît, si elle se risquait à prendre la parole, personne ne la comprendrait. Elle est donc contrainte de vivre à côté de cette famille et à côté de sa propre histoire…

Thérèse n’est pas dans sa vie et elle ne sait pas pourquoi. En elle, il y a un conflit entre son obéissance, sa docilité face à l’autorité, et le mépris qu’elle éprouve pour le désolant spectacle qu’elle a devant les yeux. »

Distribution

  • Audrey Tautou : Thérèse Desqueyroux
  • Gilles Lellouche : Bernard Desqueyroux
  • Anaïs Demoustier : Anne
  • Catherine Arditi : Mme de la Trave
  • Isabelle Sadoyan : Tante Clara
  • Stanley Weber : Jean Azevedo
  • Francis Perrin : M. Larroque
  • Yves Jacques : l'avocat de Thérèse Desqueyroux

Fiche technique

  • Réalisation : Claude Miller
  • Scénario : Natalie Carter et Claude Miller, d'après le roman de François Mauriac , Thérèse Desqueyroux
  • Photographie : Gérard de Battista
  • Montage : Véronique Lange
  • Production : Yves Marmion
  • Durée : 110 minutes
  • Dates de sortie : mai 2012 (Cannes) ; en salle 21 novembre 2012


Retrouvez tous les détails techniques sur la fiche IMDB

thd3.jpg


 


thd4.jpg
Outils personnels

Le cinéma de Nezumi; les artistes contemporains / Randonnées dans les Pyrénées

Les merveilles du Japon; mystérieux Viêt Nam; les temples et des montagnes du Népal ; l'Afrique