Trois souvenirs de ma jeunesse

De Cinéann.

Trois souvenirs de ma jeunesse film français d'Arnaud Desplechin sorti en 2015

Analyse critique

Le film constitue une "préquelle" à Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle) sorti près de vingt auparavant. Le film est formé d'un prologue et de 3 épisodes de longueurs inégales.

Anthropologue de profession, Dedalus apparaît, dans la première scène, à Douchanbé (Tadjikistan), dans une pièce baignée d’une douce lumière, alors qu’il s’apprête à rentrer en France poser ses bagages après de longues années de recherche à l’étranger. « Le bel Ulysse rentre à Ithaque », lui susurre la femme qu’il laisse sur place. Un contrôle d’identité à l’aéroport le conduit dans un sous-sol sinistre, dont la lumière verdâtre et les murs de béton rappellent l’ambiance des films d’espionnage de la guerre froide, où un agent de la DGSE le soumet à un interrogatoire bizarre. Paul Dedalus porte le même nom qu’un autre homme, lui dit-on, né le même jour que lui, dans le même hôpital, et mort depuis quelques années.

Le premier épisode, le plus court et le plus violent concerne l'enfance. Une altercation furieuse avec sa mère, filmée à la manière d’un film d’épouvante, une nuit, dans la maison de Roubaix, conduit Paul à quitter le foyer familial. A 12 ans, il part s’installer chez une vieille tante, liée par une amitié amoureuse à une exilée russe, dissidente ayant fui le stalinisme, dont le mari est mort exécuté. Un raccord brutal sur l’enterrement de la mère de Paul imbrique, comme le film ne cessera de le faire par la suite, l’histoire intime et la grande Histoire.

L’épisode suivant retrace un voyage scolaire à Minsk, en URSS, au cours duquel le personnage, mandaté par une organisation politique juive, transmet de l’argent à un groupe Refuznik et offre son passeport à un jeune homme, pour lui permettre de gagner Israël.

Le troisième, le plus étoffé du film, revient sur son premier amour, avec Esther, jeune fille aux allures de femme fatale, dont l’aplomb et l’appétit de vivre l’ont fait chavirer. Rythmé par les troubles et les tourments de la passion, par les lettres qu’ils s’écrivent, et que lisent directement à la caméra les deux acteurs, cet épisode se déroule sur fond de chute du mur de Berlin, qui scelle, aux yeux de Paul, la fin de son enfance. À, tandis qu’à Paris, où il fait ses études d’anthropologie, il élit une nouvelle mère adoptive en la personne du professeur Behanzin (nom qui renvoie à un roi africain sans royaume, héros mythique de la résistance à la France coloniale).

Par l’audace de son style, le choix miraculeux de deux jeunes premiers épatants (Lou Roy-Lecollinet et Quentin Dolmaire), la composition presque musicale de cet épisode, qui constitue l'essentiel du film, parvient à figurer l’incandescence d’une passion adolescente, comme si c’était la première fois à l’écran. Il réussit également à mettre au jour l’érosion du temps, la dégradation de l’absolutisme du sentiment, lorsqu’il se fracasse au contact des contingences. La radicalité dangereuse est portée par Esther, figure de la liberté et de la rébellion, et, en même temps, jeune femme contrainte à une forme de renoncement pour échapper aux flots tumultueux d’une passion qui l’épuise.
Le moyen qu’ils trouvent tous deux pour conjurer la souffrance de la séparation consiste en une correspondance, abondante, quotidienne, foisonnante. Plutôt que la voix off chère à François Truffaut, les jeunes amants séparés lisent à voix haute debout dans leur chambre respective, le regard plongé dans le nôtre, les longues lettres d’amour qui disent leur joie et leur souffrance. Pour ne pas ‘mourir’ Esther finira par quitter Paul, choisira un ami du premier, un garçon plus calme et apaisant. Elle ne reverra jamais Paul.

Dixième long-métrage d’Arnaud Desplechin, Trois souvenirs de ma jeunesse est l’autoportrait de ce personnage dual, à la fois créature et créateur. À l’époque du biopic, genre qui prétend retracer sur un mode objectif la vie d’un personnage, le réalisateur réaffirme le primat du subjectif et de l’introspection.

Le film entrelace les ombres des films précédents de Desplechin avec les héros de son musée imaginaire (Proust, Yeats, Platon, Lévi-Strauss, Lénine, Soljenitsyne, Ford, Demy, Bergman, Eustache, Bach, le rap américain des années 1980…). La mémoire circule ainsi au gré d’un savant jeu de rimes, de signes, comme un puissant flux souterrain voué à exploser dans le présent. « Tout est intact ! », hurle Dedalus au visage de son ancien meilleur ami qu’il recroise par hasard, trente ans après s’être brouillé avec lui à cause d’Esther.

Arnaud Desplechin varie sa manière avec un style qui évoque parfois le rêve, parfois le souvenir, et qui donne lieu à des fantaisies formelles comme l’entrée en scène d’Esther par exemple, dans sa robe rouge, à la fête où Paul l’invite pour la première fois, dans un ralenti scintillant digne d’un dessin animé.

Déclarations d'Arnaud Desplechin à propos du film:
L’envie, c’était d’écrire un teen-movie, et de me demander : « Est-ce que je serais capable de faire vivre des personnages qui ont entre 11 ans et 19 ans ? » Et après, c’était le désir de travailler avec des personnes qui n’ont jamais été devant une caméra. Est-ce qu’ils allaient réussir à fabriquer quelque chose avec les mots que je leur avais écrits ?
Dans les faits, il n’y a rien de véritablement autobiographique, et en même temps, d’un certaine point de vue tout l’est. De la même manière que je demande à mes acteurs de ne pas truquer, j’essaie moi aussi d’offrir au spectateur quelque chose d’intime. Ceci dit, quand je pense à ma vie, elle me paraît finalement très terne par rapport à celle de Paul. Je n’ai jamais fait de voyage à Minsk comme lui, c’est un jeune orphelin alors que mes parents sont encore en vie tous les deux.
Quand vous êtes dans une cour de récréation, il y a des gens qui aiment la vie, qui ont un rapport facile à la vie. Ils vont faire du foot, du théâtre. Et puis, il y a des gens qui ont plus peur de la vie. Ceux-là, ils préfèrent les films, parce qu’on est dans une salle obscure, parce que ça protège, qu’on ne se regarde pas les uns les autres, mais qu’on fait tous la même chose ensemble. Et moi, fabriquer ces objets, les films, dont je sais qu’ils appartiennent à l’enfance, c’est ça qui m’amusait.
En conclusion, je pourrais vous dire : « Demain, nous reprendrons les exercices. » C’est la dernière phrase de L’Enfant sauvage de François Truffaut. Le petit garçon est rentré à la maison. Est-il devenu civilisé ou est-il resté sauvage ? Au fond, ce n’est pas très important. Le docteur Itard, joué par Truffaut lui-même dans le film, dit : « Demain, nous reprendrons les exercices. »

Distribution

  • Quentin Dolmaire : Paul Dédalus adolescent
  • Lou Roy-Lecollinet : Esther adolescente
  • Mathieu Amalric : Paul adulte
  • Dinara Droukarova : Irina
  • Cécile Garcia-Fogel : Jeanne Dédalus, la mère
  • Françoise Lebrun : Rose
  • André Dussollier : Claverie

Fiche technique

  • Réalisation : Arnaud Desplechin
  • Scénario : Arnaud Desplechin et Julie Peyr
  • Photographie : Irina Lubtchansky
  • Montage : Laurence Briaud
  • Musique originale : Grégoire Hetzel
  • Producteur : Pascal Caucheteux
  • Sociétés de production : Why Not Productions et France 2 Cinéma
  • Durée : 120 minutes
  • Date de sortie : 20 mai 2015 (Festival de Cannes 2015, quinzaine des Réalisateurs)


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