Un, deux, trois

De Cinéann.

Un, deux, trois (One, Two, Three) film américain réalisé par Billy Wilder et sorti en 1961.

Analyse critique

Le film se passe à Berlin en 1960, donc peu avant la construction du Mur de Berlin, le directeur pour l'Allemagne de la célèbre firme Coca-Cola, l'autoritaire C.P. MacNamara déploie tous ses efforts pour implanter la vente du produit de l'autre côté du rideau de fer. À ces soucis, s'ajoute celui de devoir chaperonner la fille du grand patron, Scarlett Hazeltine, venue séjourner à Berlin. A peine arrivée, elle disparaît, puis réapparaît, flanquée d'un sémillant et fougueux jeune homme, Otto Ludwig Piffl, avec qui elle vient de se marier ! L'heureux élu est un fervent communiste du secteur-est.

En attendant le voyage de noces à Moscou, Otto rentre chez lui, sans s'apercevoir qu'il traîne derrière sa moto un ballon marqué "Russki go home " et l'horloge à coucou offerte par MacNamara n'est qu'un piège destiné à le faire arrêter par les VoPos pour propagande occidentale. Mais Scarlett est enceinte. Il faut faire revenir le jeune père. MacNamara fonce à l'est et convainc ses trois partenaires commerciaux soviétiques de se faire passer pour des agents spéciaux et de le libérer.

Interdit à l'Est pour avoir signé des aveux sous la torture psychologique, Otto ne peut plus qu'accepter les conditions de MacNamara, qui le fait adopter par un vieux comte désargenté, et lui fait donner tous les atours dignes d'une telle lignée et de sa fonction de directeur de la mise en bouteilles. Hazeltine est fortement impressionné par ce gendre si bien mis et soudainement si déterminé à défendre les intérêts de la firme. Il le bombarde président pour l'Europe. MacNamara, lui, devient vice-président général, à Atlanta, ce qui lui permettra de continuer à vivre en famille.

Billy Wilder se fait un malin plaisir à définir dans un premier temps un monde extrêmement figé, bilatéral, à la limite de la caricature, pour finalement volontairement tout embrouilleret faire comprendre que les choses ne sont jamais aussi simplistes qu’elles n’y paraissent. La critique du bloc soviétique est évidente et comique, ce qui lui donne l’occasion de retrouver la verve acide avec laquelle il caractérisait les émissaires du Parti dans Ninotchka d’Ernst Lubitsch : aliénation de l’individu, mensonge d’Etat caractérisé, opportunisme politique, corruption et hypocrisie. Son ironie passe d’ailleurs souvent par le biais de détails visuels dévastateurs : les secousses du rock’n’roll du cabaret est-allemand faisant tomber le portrait de Khroutchev pour révéler celui de Staline ; ou le nom même de l’hôtel, passé de Bismarck à Goering, puis à Potemkine.

Mais le mal qui ronge les capitalistes du film paraît à terme au moins aussi grave, dans la révélation progressive de leur individualisme, de leur opportunisme, de leur vanité ou de leur absence totale de culture (« No culture, just cash ») ou de principes moraux. Au moins aussi menteurs que leurs opposants ils y ajoutent un cynisme indéfectible, parfois glaçant, et ce dès le plus jeune âge (le petit garçon, à propos de sa sœur : « Si elle meurt, je peux récupérer sa chambre ? »). La vitesse que Wilder a voulu conférer à son film n’est que celle de la vie moderne dans les sociétés capitalistes, celle de la quête continue du pouvoir, de l’argent, de la possession, cette course contre le temps qui, au final, empêche bien souvent de penser à sa condition ou à la portée de ses actes.

La pièce en un acte du hongrois Ferenc Molnar, datée de 1929, contenait l’essentiel de l’intrigue  : un capitaliste agité qui accueille la fille d’un important client, laquelle s’éprend d’un chauffeur de taxi socialiste, mais si Wilder en aimait beaucoup le point de départ et la volonté constante de rythme, il trouvait le cadre de l’action, circonscrit à un bureau, trop limité et la plupart des dialogues manquaient de modernité. Mais le tournage sur place était délicat. Dans un premier temps, la notoriété de Wilder lui permit de convaincre les autorités, grâce à un certain nombre d’omissions plus ou moins volontaires dans le contenu de ce qui était filmé : hors de question, par exemple, de laisser les policiers est-allemands voir le ballon « Russki go home ! ». Mais après le gel des laissez-passer, Alexandre Trauner fut contraint de commanditer la construction de répliques des principaux monuments (la Porte, l’Aéroport Tempelhof...) en Bavière, pour un coût exorbitant.

Le mur de Berlin a été érigé pendant le tournage du film, effectué pour partie en extérieurs, dans la ville de Berlin. L'action est censée se dérouler en l'absence du mur, sur un mode humoristique, ce qui n'était pas acceptable pour le public, pour cette raison, le film fut un échec commercial à sa sortie.

Pierre Murat déclare en 2013 : « Rythme effréné, dialogues étincelants, gags à foison. C’est probablement le film où se révèle le mieux l’idée du monde selon Wilder: une cavalcade hystérique, menée par des corrompus et des couards. Dans cette farce grandiose, les Allemands claquent des talons comme sous Hitler, et les Russes dissimulent les portraits de Staline sous ceux de Khrouchtchev, l’homme du dégel. Sorti au moment où s’édifiait le Mur de la honte, le film fut un bide: personne ne songeait à rire. Aujourd’hui, c’est (re)devenu une superbe réussite. Un petit chef-d’œuvre prophétique. »

Distribution

  • James Cagney : C.R. Mac Namara
  • Horst Buchholz : Otto Ludwig Piffl
  • Pamela Tiffin : Scarlet Hazeltine
  • Arlene Francis : Phyllis MacNamara
  • Liselotte Pulver  : Fraülein Ingeborg
  • Howard St. John : Wendell P. Hazeltine
  • Hanns Lothar : Schlemmer
  • Leon Askin : Peripetchikoff
  • Ralf Wolter : Borodenko
  • Karl Lieffen : Fritz
  • Hubert von Meyerinck : Le comte von Droste Schattenburg
  • Loïs Bolton : Melanie Hazeltine

Fiche technique

  • Scénario : Billy Wilder et I.A.L. Diamond, d'après une pièce de théâtre de Ferenc Molnár
  • Photographie : Daniel L. Fapp
  • Adaptation et direction musicale : André Previn
  • Direction artistique : Alexandre Trauner
  • Montage :[Daniel Mandell
  • Production : Billy Wilder
  • Société de production : Mirisch Company, Pyramid Productions
  • Format : Noir et blanc Panavision
  • Durée : 115 minutes
  • Dates de sorties : États-Unis, 15 décembre 1961
    • France : 28 février 1962


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