Un héros

De Cinéann.

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Un héros , film iranien et français de Asghar Farhadi, sorti en 2021

Analyse critique

En Iran, Rahim, poursuivi par un créancier tenace, se retrouve derrière les barreaux pour ne pas avoir pu rembourser son imposante dette. Cependant, il obtient rapidement une permission de deux jours. Il souhaite utiliser cette faveur pour rencontrer son créancier, qui est aussi son ex-beau-frère, et tenter de le convaincre de changer d'avis. Il essaie de lui expliquer qu'il désire lui régler une partie de la somme, mais, en contrepartie, il supplie ce dernier de réfléchir à retirer sa plainte. La compagne clandestine de Rahim, qui a trouvé dans la rue un sac rempli de pièces d’or, lui conseille d’utiliser cette somme pour payer sa dette. Tenté de le faire, mais conscient qu'une petite partie de la dette serait remboursée , Rahim se ravise pour se racheter une conduite. Il confie le trésor à sa sœur avant de regagner sa prison, puis fait passer un avis de recherche pour en retrouver le ou la propriétaire en donnant le numéro de téléphone de la prison. Une femme se manifeste bientôt, qui récupère prestement le sac et disparaît.

Pendant ce temps, une opération socio-médiatique bat son plein. Lancée par la direction de la prison pour vanter l’honnêteté de son prisonnier, l’excellence de ses méthodes de réhabilitation, et faire oublier de récents suicides, elle est relayée par la presse locale, les réseaux sociaux et les associations charitables qui prennent fait et cause pour Rahim, militant pour sa libération et l’effacement de sa dette.

Deux obstacles vont toutefois se mettre en travers de la route de cette héroïsation. Le premier est le créancier, qui veut récupérer l'intégralité de la somme, destinée à la dot de sa fille, et qui ne ménage pas ses efforts pour prouver que le nouveau héros régional est un escroc et un manipulateur de grande envergure. Le second, une fois Rahim libéré et recommandé aux bons soins de la préfecture pour qu’il y trouve du travail, va consister dans le scrupule administratif qui subordonne son embauche à la preuve matérielle que le sac a bel et bien été confié à sa propriétaire.

Un héros procède dès lors entièrement de cette enquête à haut risque, en accusant petit à petit sa dimension de fable philosophique. Sur la vérité et le mensonge, la réalité et les apparences, l’honnêteté et la tricherie. Le spectateur verra ici assez clairement, quelque degré d’impondérable et d’indécision l’auteur prend-il soin de conférer à son intrigue, quelle part revient en chacun de ces domaines à l’individu et à l’Etat, et plus encore aux logiques qui sous-tendent leurs actes.

Chaque personnage du film a ses raisons d’agir, Rahim certes mais aussi son créancier ou encore sa compagne, prête à se sacrifier pour lui offrir une rédemption. Farhadi joue à cache-cache avec les zones d’ombre qui entourent ses personnages. Jusqu’au bout, le spectateur se demandera, par exemple, ce que dissimule l’indécrochable sourire affiché par son personnage principal en toutes circonstances. Rien n’est simple dans cette société qui infantilise les citoyens en les récompensant pour leurs bonnes actions mais laisse aux associations de charité la charge de sauver ceux que sa justice a condamnés à mort. La somme des empêchements de chacun fabrique cynisme et dissimulation. Ainsi le silence de cette femme qui cache à son mari qu’elle possède des pièces d’or de peur qu’il se les approprie. Ou l’impossibilité pour Rahim d’évoquer sa compagne, avec laquelle il n’est pas marié.

Tout est pourri dans la République islamique d’Iran, exposée à l’autoritarisme de ses institutions sans être à l’abri des dérives des sociétés libérales, comme le pouvoir de nuisance des réseaux sociaux. Pour leur promotion personnelle, les administrateurs de la prison instrumentalisent Rahim, lequel utilise à son tour son fils bègue pour apitoyer le monde. Quant à la famille, elle n’est plus un refuge mais le lieu tumultueux où s’imbriquent solidarité et obligation : en acceptant l’aide de sa sœur et de son beau-frère, le « héros » devient inexorablement leur obligé.

Après deux films européens, Farhadi revient au cœur de la réalité iranienne. A Shiraz, sur les pas d’un fait divers qui a défrayé la chronique locale, mais qu’il transforme en exercice naturaliste. Le sourcilleux Etat iranien ne reste pas insensible au réalisateur, puisqu’il a de nouveau choisi Farhadi pour le représenter aux Oscars. Quand il ne les emprisonne pas pour avoir franchi la ligne rouge, le régime iranien a toujours eu l’intelligence de tirer parti des cinéastes, même critiques, qui font honneur au pays.

Distribution

  • Amir Jadidi : Rahim Soltani
  • Mohsen Tanabandeh : Braham
  • Fereshteh Sadre Orafaiy : madame Radmehr
  • Sarina Farhadi : Nazanin

Fiche technique

  • Titre original : قهرمان, Ghahreman
  • Réalisation et scénario : Asghar Farhadi
  • Montage : Abolfazl Ebrahimi et Hayedeh Safiyari
  • Production : Alexandre Mallet-Guy
  • Société de production : Memento Films Production
  • Durée : 128 minutes
  • Dates de sortie : 13 juillet 2021 (Festival de Cannes 2021)
    • 15 décembre 2021 (sortie nationale)
  • Récompense: Prix du Jury ex-aequo au Festival de Cannes 2021


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