Une affaire d'État

De Cinéann.

Une affaire d'État film français réalisé par Éric Valette, sorti en 2009.

Le sujet

Ce film inspiré du livre de Dominique Manotti « Nos fantastiques années fric » est un film policier dans lequel des trafiquants d’armes, le "Château" élyséen et ses conseillers se trouvent impliqués dans les lointains rapports de la France avec l’Afrique.

Des politiciens véreux, véreux et maladroits, fascinés par leur place dans l’histoire politicienne qu’ils tissent jour après jour, se laissent piéger par le jeu de rôle imbécile que leur intelligence déviante assèche de toute humanité, de toute compréhension de ce qu’est le rôle de la France dans l’Histoire.

Les références aux faits réels sont là, un conseiller qui ressemble au sinistre Dumas-Grossouvre, un Président qui a les clignements et les rictus de François Mitterrand. Une bande de malfrats proche de la Présidence des années 80 a perverti la politique africaine.

Analyse critique

(Auteur: Michel P)

Ce film aurait pu être un sujet de cinéma-vérité : or, le film tombe « à côté » quant à la dénonciation des mœurs politiques barbouzardes de l’éternel métropolitain rayonnant sur son ex-empire. Le « flop » n’est pas anodin :la critique des années frics des années 80 semble juste …

Que dit le « Canard enchaîné » qui hésite à flinguer ce polar malin ? « Ce film d’Eric Valette est bâti sur une intrigue ingénieuse qui fait écho à des affaires réelles … », les acteurs étant décrits comme bons dont « Thierry Frémont qui porte à lui seul le film et son ambiguïté …

Que la critique du bon « Canard » soit plus acerbe car si le film mérite d’être vu, il est un regard sur l’Afrique, une manière de vivre en Afrique, une Afrique qui doit être dénoncée au sortir d’une analyse plus fine !

Si ce film se rit de ces cow-boys qui, au plus haut niveau de l’état, se jouent l’air de la grande écriture de l’Histoire, alors il faut voir ce film et rire ! Les références aux faits réels sont là, un conseiller qui ressemble au sinistre Dumas-Grossouvre, un Président qui a les clignements et les rictus de François Mitterrand … Et c’est le malaise et l’ambiguïté qui l’emportent sur la description de faits supposés réels. Reprenons les faits dans le film : une bande de malfrats proche du château élyséen des années 80 a perverti la politique africaine …

Cette vérité est acceptable si elle est confrontée à la politique qui a existé, sans ambiguïté vis-à-vis de l’apartheid, essayant de renforcer l’espace démocratique, politique ambitieuse comme en ont été les témoins Nelson Mandela, Mikhaïl Gorbatchev, Yasser Arafat et Itzhak Rabin … En dépit de pouvoirs en Afrique difficiles, en dépit des réseaux foccardiens, pasqualisés, chiraquisés, néo-gaullistes et giscardiens. Mais, dans le film, les déstabilisations géopolitiques essentielles disparaissent en déplaçant les faits dans l’espace et dans le temps :

Dans l’espace
Des militaires sont pris en otage aux confins de l’ex-Zaïre, ex-Congo belge aujourd’hui la République Démocratique du Congo. Or, l’épicentre du pré carré français se situe au Congo-Brazzaville, au Gabon, voire en Angola : c’est là que se joue le contrôle du pétrole et de l’Afrique du Sud : l’intensité dramatique aurait gagné en intensité si l’Histoire ne s’était pas trouvé trompé ; la complexité qui en aurait résulté aurait permis de dénoncer avec de sévérité l’amateurisme des conseillers occultes.

On préféré une petite histoire, plus malléable avec des contre-pieds certes plaisants ; mais, cette inaptitude à coller aux faits historiques avec rigueur en dit plus que ce que l’on veut bien le dire. L’essentiel de l’action qui concerne les rapports avec l’Afrique se passe à Paris, dans un monde particulier : ça tourne autour de l’Afrique, espace abstrait sans profondeur, lisse, banal, sans Histoire : le Zaïre est gommé ; peu importe vit un Congo, un second Congo. Après tout, l’histoire se fait dans des salons parisiens lieux du concret, de l’existence, la seule qui soit ... Nul besoin d’être agrégée d’histoire comme Dominique Manotti pour comprendre cela.

Dans le temps
C’est dans les années 60-70 que l’Afrique Equatoriale a représenté un enjeu principal pour la France avec un activisme inégalé. Ainsi, par exemple, au Congo Brazzaville, la France de Giscard aidée par les néo-gaullistes avait payé des mercenaires pour couper la voie de chemin de fer Brazzaville Pointe Noire, inondé, coulé, détruit les mines de potasses du Mayoral pour arriver à déstabiliser victorieusement le Congo

Brazzaville, déstabilisé les régimes qui n’étaient pas fiables de cet état qui s’appelle officiellement le Congo, pays riche par ses hommes et ses femmes, ses poètes, ses musiciens, ses peintres, pays où les errements de la France chiraquienne ne font aucun doute …

Dans le film, les Africains sont des Congolais de la République Démocratique de Congo, non du Congo, et ce sont soit des rebelles cruels, soit des personnages troubles. Les seuls français qui apparaissent sont ceux d’un monde interlope : le personnage principal, mixte de Dumas et Grossouvre est un excellent baudet capable de porter toutes les infâmes perversions sans recourir à une imagination débordante : le personnage est très crédible … La véracité du personnage est un écran qui cache la réalité des associations Foccard De Gaulle, Foccard Pompidou, Foccard Pasqua Chirac, Poniatowski De Broglie Giscard, associations sulfureuses au service d’une idéologie qui caresse le rêve néo-colonial, néo impérial avec nostalgie et efficacité. Ces gens dans les années 70 ne s’ennuient pas avec une affaire d’otages : ils sont comptables, dans le cadre de l’affrontement Est-Ouest de la protection de la liberté en Afrique, ce qui évidemment ne les empêche pas défendre le régime d’apartheid de Rhodésie ...

Et la distinction entre droite et gauche se mesure à ce que l’on donne à manger aux ouailles de ses supporters : toutes les choses ne sont pas les mêmes par ailleurs, Mitterrand et Fabius en particulier combattirent le régime de l’apartheid. Ce déplacement géographique, RDC plutôt que Congo, ce déplacement dans le temps, se projeter dans les années 80 avant que les néo-marxistes Sassou et Dos Santos basculent officiellement du camp de l’Est dans la confrérie de la droite française, ces deux déplacements permettent de renforcer la thèse sous-jacente dans le film : l’échec et la médiocrité d’une alternative de la maison France dans ces années de rafistolage géostratégique sans grande ambition dans le concert mondial : seules les petites mains sont aux commandes sous-entendu dans la continuité de la maison France. Ne cherchez pas ailleurs ! Tout cela, c’est dans l’air du temps.

Mieux vaut avoir comme protagoniste le chef du Zaïre, Mobutu Sese Seko, c’est plus simple : il est possible de lui accrocher tous les remugles de l’histoire post-coloniale…

Ambiguïté du film
Cette ambiguité ne permet pas d’approcher la complexité de la réalité africaine. Elle se nourrit du microcosme présenté dans le film avec sa logique de polar et qui se veut décrire les faits pour mieux alimenter le scandale : l’angle sous lequel est décrit le monde dans un roman noir alimente le malaise ; et, c’est bien le but de l’artiste que provoquer ce ressentiment. La nécessaire simplicité de l’action dans un polar est en harmonie avec la gymnastique simple des acteurs bien réels du terrain.

Pour mieux comprendre cette notion, il faut affronter de plein fouet la présence blanche en Afrique noire :sans oublier la présence coloniale destructrice d’un ordre qu’elle n’avait pas intérêt à comprendre, sans oublier l’esclavage.…En effet, les règles de ces dominations sont simples : les acteurs, les victimes sont parfaitement connus. Pas de place pour des états d’âme … Les jeux de rôle étaient simples et pour réussir en Afrique pour un Européen, il suffisait de s’installer à la place que la terreur avait fini historiquement par désigner, encore une fois naturellement. : savoir bien jouer son rôle et c’est alors que le style polar devient infiniment suspect pour décrire l’Afrique.

Aussi ingénieuse que soit l’intrigue du polar, elle est par essence réductrice. Aussi rebondissant, parfait, plaisant que soit le scénario du film « Une affaire d’état », il n’est pas la représentation des « voies du politique » en Afrique centrale à partir du moment où tout se passe à Paris ; et l’activité pelliculaire continue de désigner le lieu où les choses se passent pour l’Afrique Equatoriale … Et cette simplication devient un simplisme comportemental.

C’est là l’obstacle essentiel à l’écriture d’un polar sur l’Afrique, c’est que les codes simples du polar sont des codes facilement assimilés par des esprits simples souvent blancs vivant en Afrique. En effet, la maladie de la nostalgie coloniale particulièrement vivante au Portugal après la disparition de l’Empire colonial portugais a une variante chez quelques expatriés français en Afrique qui provoque chez eux une forme de transmutation en agent 007 : certains nostalgiques ont besoin d’être des agents au rapport dans les ambassades : le côté barbouze de l’universitaire-quincaillier de la place, voilà bien une continuité détestable, et le scénario est d’autant moins drôle que ces James Bond sont potentiellement dangereux.

Chez eux, absence de culture, incapacité de lire leur passé, infichus d’être des acteurs positifs pour le pays qui les accueille comme pour leur propre pays. La représentation passéiste des rapports France-Afrique qu’ont ces acteurs atteint la sphère du pouvoir indistinctement. Idéologie conservatrice, elle n’empêchera pas certains acteurs dits de gauche de croire à leurs balivernes : la rançon de la démocratie, c’est tout de même l’ancrage de l’élu de base dans le terroir jusqu’à épuisement de l’heureux élu qui ne favorise pas le travail des neurones et hors de chez lui cela le projette très vite dans un exotisme où il n’est guère laissé de place à l’esprit critique. Et, la cuisine des coups dans le cadre des relations franco-africaine fait saliver de nombreux petits maîtres dans leur petite maison. La maison close dans le film « Une affaire d’état » est un bon symbole fort qui doit être élargi hors du contexte réducteur du film, symbole sur lequel fantasme l’aréopage qui tournicote autour la politique africaine. Sexe, fric et milieux interlopes.

Déclarations D'Éric Valette

Sur les thèmes politiques d'Une affaire d'État, comme la Françafrique par exemple, nous parlons de sujets qui ont été pas mal évoqués dans les médias. On n'a pas ambition d'éduquer les gens avec ça. En revanche, il reste pas mal du ton western : les mouvements du progrès sur les gens rivés sur leurs principes, le nouveau monde politique qui dévore le vieux, la shérif qui vient mettre le bordel...

Q: Qu'est-ce qui vous attire dans le thriller politique  ?
C'est que l'on peut montrer un monde dans des zones de gris. Chaque personnage a raison de faire ce qu'il fait, et ce qui m'intéresse en tant que réalisateur, c'est de défendre chacun des personnages et qu'on puisse les comprendre et se projeter en eux. L'univers de la corruption politique permet de cristalliser des choix moraux que les personnages doivent faire. On retrouve dans tous ces récits la question de la morale, qui est également la question centrale du western et qui est, à mon sens, passionnante à aborder en tant que réalisateur. Moi, j'adore entraîner les spectateurs avec des personnages qu'ils vont de prime abord détester, mais qu'ils vont apprendre à apprécier, voire à aimer à mesure que le récit progresse.

Q: Vous avez eu des échanges avec la romancière ?
Non, pas du tout. Elle a découvert le film à la projection équipe, et était très heureuse du résultat. Elle ne s'est jamais montrée trop protectrice envers son œuvre et a parfaitement compris les changements que nous avons apportés. Elle était à la fois troublée et enchantée par le film.

Q: Pourquoi avoir abandonné le titre original du roman, Nos Fantastiques Années fric ? Nous avons décidé de le changer très, très vite. Déjà, contrairement au roman, nous n'étions plus dans les années Mitterrand, donc le titre ne me semblait plus pertinent. Ensuite, il était difficile d'identifier ce titre comme celui d'un thriller. Il aurait pu tout aussi bien s'agir d'une comédie avec des jeunes qui essaient de faire fortune dans les années 1980, un truc dans l'esprit de Mes Meilleurs copains. Après, nous avons hésité avec pleins d'autres titres, comme Mort pour la France, Cellule de crise, etc. Pour être tout à fait honnête, je ne suis pas à 100% satisfait de notre titre. Mais au moins il n'est pas à côté de la plaque.

Q: S'il me semble évident que le film fait l'effort d'être, si ce n'est atemporel, du moins apolitique, il y a deux rapports directs avec les années Mitterrand : la BNF tout d'abord, et le comédien qui incarne le Président... Sur la Bibliothèque, ça n'est pas innocent. C'était un petit clin d'œil au roman qui se déroule donc clairement sous la présidence de Mitterrand. Et surtout c'est un super beau site qui n'a pas souvent été filmé dans le cinéma français... En revanche, pour le comédien, c'est totalement fortuit. La représentation du Président au cinéma est une chose compliquée. Et avec le recul, je me dis qu'avec une célébrité dans le rôle, les gens seraient sortis du film.

Q:Avez-vous beaucoup lutté pour conserver l'aspect atemporel du film ?
Déjà les personnages ont des téléphones portables et Internet, mais ça s'arrête là. Je savais que nous devions être dans un contexte contemporain, sans déterminer la décennie précise : le film pourrait se dérouler dans les années 1990, 2000, ou plus tard.

Q: Pourquoi l'atemporalité ? Pour éviter le côté « film à thèse » ?
Oui, exactement. Mais aussi parce qu'ainsi, ce que nous racontons montre aux téléspectateurs que cette histoire s'est déroulée, se déroule encore et peut se dérouler dans les prochains années. C'est sans fin...

Q :Avez-vous fait des recherches ?
Oui, nous avons fait lire le scénario à des gens de la criminelle, des gendarmes aussi, qui pouvaient nous donner des précisions sur certaines procédures, certains aspects pratiques de leur quotidien. Nous avons retenu ce qu'ils nous ont dit quand ça pouvait nous servir de façon dramatique. Très souvent, ils nous ont dit que nous n'étions pas loin de leur quotidien, et même que leur réalité dépassait souvent notre fiction. Cependant, je tiens à dire que je n'aime pas les films qui se cachent derrière les spécialistes ou leurs recherches. La seule question que je dois me poser, c'est la crédibilité de mon récit.

Distribution

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Fiche technique

  • Titre : Une affaire d'État
  • Réalisation : Éric Valette
  • Scénario : Éric Valette, Alexandre Charlot, Franck Magnier, inspiré du livre de Dominique Manotti « Nos fantastiques années fric »
  • Société de production : Les Chauves-Souris
  • Musique originale : Noko 440
  • Image : Vincent Mathias
  • Montage : Fabrice Rouaud
  • Durée : 99 minutes
  • Date de sortie : 25 novembre 2009 en France


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Le livre « Nos fantastiques années fric » et son auteure

La géographie qui porte le livre n’est pas l’Afrique Equatoriale, mais le l’Iran et le Liban. Trafic d’armes au Moyen Orient ou s’enrichir en finançant la guerre Iran-Irak : voilà résumé le livre. Le jeu de quilles imbécile qui se joue est plus vraisemblable dans le livre : le moment, c’est l’ère mitterrandienne qui est ciblée sans référence forte aux agissements des prédécesseurs Chirac et Giscard : le RPR est cité une fois ... Le scénario est le même : au plus haut sommet de l’état, des manipulations imbéciles et la corruption de médiocres. Au fond, le discours demeure : rien de neuf dans le royaume du « grand roi soleil » où l’adoration enseignée du grand état qu’est la France, fait qu’à l’heure des malfrats de gauche au pouvoir, petite erreur de l’Histoire, la grandeur se transmue en intrigue digne d’un polar …

Le livre comme le film dénonce une gestion « patrimoniale » de l’état : la droite n’aurait pas le privilège d’une telle gestion ; pire, elle n’aurait pas l’écrasante préséance qui lui revient de droit dans ce domaine ! Cette préséance est étouffée : hormis le « Canard Enchaîné » transformé en « Bavard Impénitent », trop rares sont les journaux qui ne bavardent pas mais qui parlent de façon sérieuse des affaires. Quelle place reste à l’écrit pour dire simplement la réalité des « voies du politique » dans le monde ? Les faiseurs d’images ne sont-ils pas plus importants aujourd’hui que les écrivains, journalistes, chercheurs ?

Dominique Manotti

Dominique Manotti est née à Paris en 1942

Agrégée d'histoire, spécialiste de l'histoire économique du XIXe siècle, elle enseigne d'abord cette discipline en lycée. Après 1968, elle rejoint l'Université, au Centre Expérimental de Vincennes puis en tant que maître de conférence à Paris VIII Saint Denis.

Auteure tardive, militante politique depuis la fin des années 1950, notamment à l'Union des étudiants communistes, et syndicaliste à la CFDT jusqu'au milieu des années 1980, elle applique les outils de la recherche historique à l'écriture de romans noirs à forte connotation économico-politique et sociale.

Son premier roman, Sombre Sentier, publié en 1995, a pour toile de fond une grève de travailleurs clandestins turcs dans le Sentier, à laquelle elle avait participé en 1980. C'est dans ce roman qu'elle crée le personnage de l'inspecteur Daquin, flic homosexuel, qui sera également le héros des deux romans suivants.

Chroniques politiques des années 1980, ses romans suivants traitent de la spéculation immobilière de la fin des années 80 (A nos chevaux) et de la corruption et du commerce des armes (Nos fantastiques années fric).

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