Une femme dont on parle

De Cinéann.

Une femme dont on parle (噂の女, Uwasa no onna) est u, film japonais de Kenji Mizoguchi, sorti en 1954

Analyse critique

Dans un quartier chaud de Kyoto, Hatsuko dirige une maison de geishas. Sa fille, Yukiko, étudie la musique à Tokyo. Celle-ci tente de se suicider après un échec sentimental. Sa mère décide de la reprendre chez elle bien que sa fille déplore son métier. Yukiko tombe amoureuse du médecin qui la soigne, ignorant qu'il est l'amant de sa mère.

D’allure et de tempérament moderne, Yukiko, la jeune fille rejette tout d'abord le métier de sa mère. Et puis elle commence à éprouver de la pitié puis de l'attachement envers les prostituées. Son personnage met en relief non seulement le fossé des générations mais aussi les difficultés de l’amour et l’impossibilité pour les femmes de ce milieu de sortir de leur condition. Yoshiko Kuga, avec ses cheveux courts, sa spontanéité et son allure décidée, fait de Yukiko une jeune femme moderne, entière, révoltée contre cette forme d’esclavagisme et contre la veulerie des hommes en général. La scène où, ayant découvert le double jeu du médecin en qui elle avait placé sa confiance, elle se saisit d’une paire de ciseaux est justement célèbre. Son impact repose sur le jeu de l’actrice, dont le visage ne laisse transparaître aucune émotion, et plus encore sur le sens imparable de la mise en scène qui parvient à montrer, dans l’ellipse, un passage à l’acte qui, en fait, sera évité.

La mise en scène de Mizoguchi atteint ici des sommets de virtuosité discrète, entièrement tendue vers la perception de situations inscrites très exactement dans leur dimension spatiale et temporelle. Le sens n’est plus que très accessoirement à la charge des dialogues ou des expressions des acteurs mais se dégage, dans sa violence brute et irréductible au langage, de la scénographie, des mouvements de caméra, des déplacements dans le champ, des coupes sèches et du jeu subtil entre le montré et le caché. Mizoguchi semble s’écarter quelque peu des longs plans séquences, utilisant le montage pour insérer fréquemment des gros plans et des champs-contrechamps. Les travelings sont également plus rares.

Une scène, entre autres, est exemplaire de ce sens très sûr de la chorégraphie jamais gratuite, totalement au service de la précipitation du drame et reposant en grande partie sur un maniement exemplaire de la profondeur de champ : celle où la mère, Hatsuko, surprend son amant et sa fille après être sortie de la salle pendant une représentation de Nô car elle ne supportait pas le spectacle d’une vieille femme ridiculisée parce qu’éprise d’un homme plus jeune. Tout s’organise ici autour d’une cloison séparant en deux l’espace du foyer. Même lorsque Hatsuko n’apparaît pas à l’image, cachée derrière la cloison, c’est vers elle que tout converge,même cachée, elle est en quelque sorte visible.

C’est le dernier film de Mizoguchi avec son actrice fétiche, dont il était plus ou moins secrètement amoureux, Kinuyo Tanaka. L’actrice était en effet passée de l’autre côté de la caméra pour réaliser un premier film et un second film était en projet. Assez égoïstement, Mizoguchi tenta même de bloquer ce second projet. Ils se quittèrent donc en mauvais termes. Kinuyo Tanaka est devenue la première femme réalisatrice japonaise. Elle a réalisé 6 films entre 1953 et 1962 tout en continuant à être une actrice très demandée. Kinuyo Tanaka est encore une fois sublime dans le rôle de cette femme d’affaires sans états d’âmes que sa passion pour le jeune médecin met en crise. Mais toutes les figures féminines font l’objet d’une attention affectueuse, chacune des geishas titubantes sur leurs hautes semelles en bois et engoncées dans leur tenue d’apparat étant soigneusement caractérisée et individualisée.

Les hommes sont présentés comme un troupeau brutal et vulgaire, ils sont franchement antipathiques. Les seuls à bénéficier d’une caractérisation un peu poussée sont le riche commerçant, autorité du quartier et soupirant de Hatsuko, et le médecin-gigolo, velléitaire, lâche et involontairement manipulateur. Tomoemeon Ôtani, fameux acteur de kabuki, donne néanmoins au personnage une fragilité bienvenue.

Beaucoup de films de Mizoguchi ont pour cadre le milieu des geishas ou de la prostitution. Il faut aller chercher la raison dans l’enfance du cinéaste. En 1905 (Kenji a alors 7 ans), la famille Mizoguchi est ruinée et le père est réduit à vendre sa fille comme geisha. Ce sacrifice de sa soeur ainée pour faire vivre la famille a marqué durablement le cinéaste. Plus tard, dans les années 30 et 40, il a lui-même beaucoup fréquenté les prostituées, ce qui d’ailleurs était socialement admis à cette époque, éprouvant toujours de la sympathie pour elles.

Distribution

  • Kinuyo Tanaka : Hatsuko Mabuchi
  • Tomoemon Otani : Kenji Matoba
  • Yoshiko Kuga : Yukiko Mabuchi
  • Eitarō Shindō : Yasuichi Harada

Fiche technique

  • Réalisation : Kenji Mizoguchi
  • Titre original : 噂の女, Uwasa no onna
  • Scénario : Yoshikata Yoda et Masashige Narusawa
  • Société de production : Daiei
  • Musique : Toshirō Mayuzumi
  • Photographie : Kazuo Miyagawa
  • Montage : Kanji Sugawara
  • Durée : 83 minutes
  • Date de sortie : 20 juin 1954
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