Visages, Villages

De Cinéann.

Visages, Villages , film français de Agnès Varda et JR, sorti en 2017

Analyse critique

Agnès Varda et JR ont des points communs, passion et questionnement sur les images en général et plus précisément sur les lieux et les dispositifs pour les montrer, les partager, les exposer. Agnès a choisi le cinéma. JR a choisi de créer des galeries de photographies géantes noir et blanc en plein air. Quand Agnès et JR se sont rencontrés en 2015, ils ont aussitôt eu envie de travailler ensemble, tourner un film en France, loin des villes, en voyage avec le camion photographique de JR. Hasard des rencontres ou projets préparés, ils sont allés vers les autres, les ont écoutés, photographiés et parfois affichés. Le film raconte aussi l’histoire de leur amitié qui a grandi au cours du tournage, entre surprises et taquineries, en se riant de leurs différences.

Après une brève introduction, évoquant les peintures murales de Los Angeles qu'Agnès Varda avait filmées dans Murs, murs (1981), celle-ci monte dans la camionnette-cabine photographique de JR, et ils parcourent les routes de France, sans plan de bataille, pour dénicher des sujets à photographier et des façades à encoler. Leur promenade improvisée les mène dans un coron du Pas-de-Calais, dans une usine chimique des Alpes, sur le port du Havre et dans un village fantôme de la Manche. Les projets de collages occasionnent une multitude de saynètes avec les habitants, dont les portraits géants sont placardés sur les murs.

Pour immortaliser la mémoire et lui donner corps, le photographe JR et son équipe collent des clichés géants, comme autant de mises en abyme, qu’ils font développer à l’aide d’une sorte de voiture-photomaton. Des portraits viennent alors orner une maison ou un lieu à forte valeur affective, manière dans certains cas de commémorer une personne disparue, ou dans d’autres de scénariser l’existence du vivant. Dans un désordre apparent, les idées fusent et sautillent avec légèreté sans jamais se défaire d’une réelle densité. Chez elle, la gravité n’existe que compensée par la drôlerie et la fantaisie. Depuis les premiers portraits jusqu’à la plage du bunker échoué où sera engloutie par les flots la photo géante d’un de ses amis très cher décédé, la cinéaste réalise un parcours initiatique et nostalgique. Ce cheminement trouve sa quintessence au bord du lac Léman devant la porte close de la maison de Jean-Luc Godard, lorsqu’elle trouve le message codé qu’il lui a laissé, phrase qui ravive quelques mémoires enfouies et douloureuses.

JR, qui ne veut jamais enlever ses lunettes de soleil, rappelle à Agnès les habitudes de Godard. Elle se souvient alors d’un vieux court-métrage dans lequel le réalisateur suisse les enlève, chose rare, en compagnie d’Anna Karina. Résurgences, toujours. Entre le pimpant JR et la sage et aventureuse Agnès, c’est un geste de transmission. Le premier immortalise de la seconde les yeux dont la vue s’amenuise, et les pieds dont la force se dérobe.

Pour rejouer la traversée turbulente et en accéléré du musée du Louvre (dans Bande à part de Jean-Luc Godard, 1964, Anna Karina , Sami Frey et Claude Brasseur battent le record en 9' 43), JR pousse Agnès dans un fauteuil roulant à toute allure pendant qu’elle énumère les chefs-d’œuvre qu'ils croisent. Surgissent alors le fantôme du réalisateur du Mépris, les spectres de la carrière d’Agnès, Cléo de 5 à 7, Le Bonheur. Dans ce débordement de réminiscences plane certes l’ombre d’une mort prochaine, mais celle-ci chez Varda ne correspond qu’à la fin d’un film, qu’elle dit d’ailleurs "attendre". Elle qui a transformé et révolutionné le septième art au même titre que Godard continue pourtant de gambader et de virevolter, sondant visible et invisible avec l’imaginaire d’une jeune femme, alors que Godard reste caché, méprisant le Festival de Cannes et posant un lapin doublé d'un message codé.

Distribution

  • Agnès Varda
  • JR
  • ...les personnes rencontrées

Fiche technique

  • Réalisation : Agnès Varda et JR
  • Musique originale : M ( Matthieu Chedid )
  • Photographie : Roberto De Angelis, Claire Duguet, Julia Fabry, Nicolas Guicheteau, Romain Le Bonniec, Raphaël Minnesota, Valentin Vignet
  • Montage : Maxime Pozzi-Garcia, Agnès Varda
  • Production : Rosalie Varda, Cecilia Rose, Sophie Vermersch
  • Compagnies de production : Ciné Tamaris , Social Animals, Rouge International , Arte France Cinéma + 4 autres
  • Dates de sortie : 19 Mai 2017 (Festival de Cannes , hors compétition)
    • France : 28 Juin 2017
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