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Des filles en noir, film français de Jean-Paul Civeyrac, sorti en 2010

Analyse critique

Noémie et Priscilla sont amies et habitent une petite ville de province. Elles s'apprêtent, en principe, à passer le bac, gravitent entre bahut et HLM. L'une habite avec sa mère, l'autre avec sa soeur. Leur particularité vestimentaire ne relève pas d'une coquetterie « gothique ». Elles portent plutôt le deuil de leur avenir. Le prologue annonce la couleur : Noémie a déjà fait une tentative de suicide. Les deux lycéennes de 17 ans partagent tout, leur haine du monde qui les entoure et leur mise au ban de la classe. Alors qu'un cours aborde l'histoire d'un écrivain allemand qui se suicida après avoir tué sa compagne, Noémie annonce à la classe leur intention de mettre fin à leurs jours, sans avoir consulté son amie. Priscilla accepte néanmoins la proposition de Noémie. Mise au courant, la directrice du lycée convoque les parents des deux jeunes filles qui se vengent en s'en prenant à sa voiture. La responsabilité de Noémie et Priscilla dans l'affaire n'a pas échappé à la directrice. Les deux amies sont alors entendues par la police.

Ces filles en noir, mais elles existent aussi sans les mitaines, et même en version masculine, ont la maladie de l'absolu. Le quotidien dont les autres s'accommodent les déçoit infiniment. La vie des adultes leur semble moche, triste, un naufrage, un renoncement, qu'elles sont de plus en plus résolues à éviter. Elles promènent partout un air de supériorité qui trahit aussi leur fêlure.

Si les deux jeunes femmes sont ancrées dans un milieu parfaitement et précisément défini, la toute petite bourgeoisie provinciale, sa grisaille, son ennui, elles résistent à tout étiquetage social et vivent mentalement hors de la société, dans leur monde. Ce monde, c’est une planète à la fois très étroite , le rejet de tout, et infinie, la métaphysique de la pulsion de mort, qui se nourrit de l’énergie qu’elles se renvoient mutuellement par leur amitié symbiotique.Mais ce binôme sécrète quelque chose de beaucoup plus effrayant et mystérieux qu’une simple prise de conscience sociale : une force noire, dure comme l’ongle, irréductible à toute tempérance, qui est susceptible de tout détruire sur son passage.

Pour filmer ces deux héroïnes au bord du vide, Civeyrac a trouvé un équilibre entre la veine bressonienne de ses débuts (Ni d'Eve ni d'Adam, en 1996) et le lyrisme fiévreux de ses films suivants (comme Le Doux Amour des hommes). Les visages des deux actrices, débutantes et impressionnantes, sont scrutés avec une douceur, un tact jamais pris en défaut et, en même temps, une terrible exaltation entraîne le film, les deux lycéennes sont toujours en mouvement, en révolte, en fuite. Des filles en noir est, en quelque sorte, un thriller mental. Civeyrac affronte les origines possibles de ce désespoir, notamment sociales, avenir bouché, et familiale, pas grand monde à la maison. Mais la piste la plus déchirante est la découverte d'une solitude ontologique. Le désir éperdu de fusionner avec l'autre et le projet de mourir sont les deux motifs obsédants du film, qui se répondent et se combinent sans cesse. Noémie et Priscilla trouvent dans leur amitié un peu de cet absolu qui leur manque. Mais leur lien inconditionnel les pousse d'autant vers le passage à l'acte, fantasmé comme la fusion suprême.

Civeyrac assume, son statut d'adulte, sa maîtrise, et une certaine sagesse bienfaisante, qui voit plus loin que l'impasse tragique. En pointant l'inaptitude de Noémie à pleurer, il suggère qu'une chrysalide de froideur enserre l'adolescente, lui barrant encore l'accès à la vie. Il place aussi, furtivement, la candidate au suicide au chevet d'une très vieille dame moribonde, aphone. Animé par une belle croyance en son art, en son sujet et en ses actrices, Jean-Paul Civeyrac livre une partition quasi parfaite, délicate et inspirée, intense et sans concession, saisissant quelque chose de l’absolu de la jeunesse sans crainte, sans effarement et sans paternalisme.

Distribution

  • Élise Lhomeau : Noémie
  • Léa Tissier : Priscilla
  • Élise Caron : Martha
  • Isabelle Sadoyan : Sonia

Fiche technique

  • Réalisateur : Jean-Paul Civeyrac
  • Scénario : Jean-Paul Civeyrac
  • Directeur de la photographie : Hichame Alaouie
  • Montage : Louise Narboni
  • Producteur : Philippe Martin
  • Photographe : Carole Bethuel
  • Durée : 85 minutes
  • Dates de sortie : 18 mai 2010 Quinzaine des Réalisateurs au 63e Festival de Cannes
    • 3 novembre 2010 (France)
Reproduction possible des textes sans altération, ni usage commercial avec mention de l'origine. .88x31.png Credit auteur : Ann.Ledoux