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Le Boucher est un film français réalisé par Claude Chabrol en 1970.

Analyse

Dans un village du sud-ouest de la France baigné par une rivière et situé à proximité d’une grotte préhistorique, l’instituteur épouse une jeune fille du village, Marie-Jeanne. Au cours de la cérémonie, Hélène, la directrice de l’école communale originaire de Paris, et Popaul, le boucher font connaissance.

Sous le charme de la jeune femme, Popaul se confie sur son enfance placée sous la coupe d’un père violent. Pour le fuir, il s’est engagé dans l’armée et a participé aux guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie. Hélène, qui considère Popaul comme une simple connaissance qui meuble sa solitude, fait participer le boucher aux activités des élèves et l’invite chez elle.

Peu de temps après le mariage, on apprend qu’une jeune fille du village a été assassinée, sans doute par un rôdeur. Puis, au cours d’une sortie scolaire, Hélène découvre le cadavre de la jeune mariée sauvagement tuée. A proximité du corps se trouve un briquet semblable à celui dont se sert Popaul. Hélène le prend sans rien révéler aux enquêteurs. Le commissaire de police interroge Hélène sur son collègue de travail qu’il suspecte du meurtre de sa femme. De son côté, Popaul rassure sans le savoir Hélène dans la mesure où il se sert toujours du même briquet.

Mais, alors que le boucher peint l’appartement de l’institutrice pour la distraire de son chagrin, il découvre fortuitement le briquet ramassé sur les lieux du crime qu’Hélène a rangé dans un tiroir chez elle. Il se montre bouleversé et l’on comprend alors qu’il est coupable. De son côté, il croit à tort qu’Hélène le considère comme responsable du crime. A son retour, Hélène s’aperçoit que Popaul a récupéré son briquet. Ce qui est un aveu. La nuit venue, il appelle Hélène de l’extérieur et lui demande de le laisser entrer pour qu’il puisse s’expliquer.

Effrayée, Hélène refuse. Plus tard dans la nuit, alors qu’elle veut fermer un accès à son logement, elle voit Popaul face à elle, armé d’un couteau à cran d’arrêt. Il lui explique les rasons qui le poussent à tuer puis retourne son arme contre lui. Hélène le conduit aussitôt à l’hôpital voisin. Au cours du long trajet, il lui révèle l’amour qu’il éprouve pour elle. Puis un infirmier apprend à Hélène restée dans le hall d’entrée qu’il est mort au moment même où l’ascenseur dont elle fixait le voyant rouge s’est arrêté. Désespérée et abîmée dans ses pensées, elle s’arrête au bord de la rivière sans même voir le jour succéder à la nuit.

Jouant la carte du réalisme, Chabrol ancre son film dans la réalité sociale et géographique de l’époque du tournage : la France rurale et provinciale des années soixante, bien peu différente, au fond, de celle des époques précédentes, voire de celle du XIXème siècle. Ainsi, les personnages typés donnent de la vérité à son film. On notera aussi que le contexte historique des guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie n’est pas occulté et donne une image contrastée avec ce paisible coin de France tel qu’il nous est montré, une France dont le portrait est ainsi justement nuancé : paisible et bon enfant mais à l’origine de guerres injustes et cruelles.

Cette dualité se retrouve au cœur même du film et en structure la réalisation. Qu’il s’agisse du cadre,le paysage lumineux surmonté d’une grotte obscure ou des personnages, la Belle Hélène s’occupant de la Bête Popaul ou encore des thèmes comme l’aspiration noble des sentiments confrontée au désir brutal des instincts, Chabrol installe le contraste comme fil conducteur d’un récit pourtant fluide et linéaire.

Dès le générique la caméra explore au plus près, tel l'oeil d'un chirurgien, une grotte préhistorique, scrutant chaque paroi pour y déceler des peintures rupestres, ou pour en fixer l’aspect minéral à travers stalactites, stalagmites et autres formes grossières et sombres. Sur ces images liminaires s’inscrivent les mentions traditionnelles en lettres rouge sang.

L’exploration de cette grotte primitive a tout de la métaphore. Elle est, comme le dévoilera ensuite le film, l’exposition parallèle du cerveau humain dans sa dualité reptilienne et humaine.

Mais l’homme dual vise à l’unicité et son échec le plonge dans la tragédie, qu’il s’agisse de Popaul dont les sentiments agitant ses instincts meurtriers fluent et refluent vers la personne de la belle directrice, Hélène, ou de cette dernière dont la sérénité apparente et cultivée par l’exercice du yoga ne résiste pas à l’éprouvante scène finale dont elle ressortira marquée à jamais.

Proposant, à l’exemple du Balzac romancier dont un texte est d’ailleurs donné en dictée aux élèves de la classe, un portrait approfondi de personnage, Chabrol insiste sur le lourd passé de Popaul entre un père brutal et une mère soumise, engagé dans l’armée et confronté aux pires scènes de massacre. Il insiste sur son côté spontané, chaleureux et naturel, voire facétieux.

Pourtant le déterminisme impose sa loi et la fascination contrariée que Popaul éprouve pour cette Mlle Hélène le renvoie dans l’obscurité de la grotte originelle. Il est significatif que le désir de baiser refusé par Hélène à Popaul, lors de la cueillette des champignons, soit bientôt suivi du meurtre de Marie-Jeanne, la femme de l’instituteur. Les deux événements se déroulent, d’autre part, dans les mêmes lieux.

Hélène, à l’inverse, dans sa beauté et sa maîtrise d’elle-même, semble considérer Popaul comme une sorte de grand élève turbulent qui la distrait et lui sert de lien avec la classe et le village.

Lorsque le boucher se rend chez la directrice après le meurtre, il est filmé assis face à celle qu’il admire mais il occupe une position plus basse qu’elle. Bref, la disponibilité d’Hélène envers lui peut apparaître comme une forme de condescendance. Sans doute flattée de cette admiration qu’elle suscite en lui, elle ne mesure pas le bouleversement qu’il vit à son contact, estimant que Popaul sait faire sienne cette leçon qu’elle enseigne à ses élèves : « Les désirs qui s’éloignent de la sauvagerie s’appellent les aspirations. ».

Les différences socioculturelles ne cèdent pas facilement à l’apparente civilité… Aveuglée par ses certitudes, elle joue les apprentis sorcières. A sa décharge, et comme elle le confie à Popaul, elle a connu l’échec d’une histoire d’amour et n’a aucune envie de recommencer. Elle se réfugie dans une activité professionnelle qui suscite une unanimité élogieuse dont elle semble se suffire. De son côté, Popaul connaît le même enfermement : ses avances sont repoussées par la belle directrice et il se retrouve face ses pulsions sans la moindre possibilité de les sublimer.

Ces deux existences apparemment proches sont en réalité parallèles et ne peuvent se rencontrer sans dommage pour l’un ou pour l’autre. Chabrol insiste sur les différences qui se creusent au fil des jours entre les deux personnages et montre la dévalorisation qui infériorise le boucher. Au début du film, le mariage, qui est le prétexte à leur rencontre, les montre sur un plan d’égalité ; au milieu du récit, Popaul devient l’objet d’Hélène qui le déguise caricaturalement en marquis ; à la fin du film, Popaul se retrouve comme un enfant implorant un baiser.

La séquence nocturne finale à l’école installe un vrai climat d’angoisse. Dès qu’Hélène a eu la révélation que le briquet ramassé auprès du corps est bien celui de Popaul, elle se sait en danger : la nuit vient de tomber et la place de l’école isolée du cœur du village est désormais déserte ; or le boucher est conscient que la directrice a compris sa culpabilité ; et cette dernière est coupée de tout appel au secours puisque le téléphone ne fonctionne plus quand la mairie est fermée ; elle ne peut même pas s’aventurer au-dehors où le criminel la guette sans doute. Il ne lui reste donc plus qu’à se barricader en attendant le jour.

En une mise en scène très étudiée et d’autant plus forte qu’elle n’utilise aucun artifice, Chabrol fait sourdre l’imminence du danger et la peur par un regard caméra qui interroge l’extérieur pour n’en montrer que le vide angoissant dans un éclairage rare et incertain, la masse sinistre du Monument aux morts, les ombres inquiétantes et changeantes du feuillage sur les murs qui apparaissent comme autant de menaces potentielles.

Le film s’achève par un coup de théâtre, l’acte inattendu de Popaul perpétré dans l’imploration de l’un et la peur de l’autre se déroule lors d’un fondu au noir et signe la rédemption du meurtrier. Cette fin est conforme à La Règle du jeu dont Renoir ponctuait également son film : pour que les choses continuent leur cours et que l’ordre soit rétabli, il faut bien en passer par le sacrifice des humbles, les plus démunis.

Distribution

  • Stéphane Audran : Hélène
  • Jean Yanne : Popaul, le boucher
  • Antonio Passalia : Angelo
  • Pascal Ferone : Père Cahrpy
  • Mario Beccara : Léon Hamel
  • William Guérault : Charles
  • Roger Rudel : inspecteur Grumbach

Fiche technique

  • Réalisateur : Claude Chabrol
  • Scénario et dialogues : Claude Chabrol
  • Producteur : André Génovès
  • Société de production : France : Les Films de La Boétie; Italie : Euro International Film
  • Musique : Pierre Jansen; chanson de Dominique Zardi
  • Directeur de la photographie : Jean Rabier
  • Monteur : Jacques Gaillard
  • Sortie : 27 février 1970
  • Durée : 93 minutes

Sources partielles:

Reproduction possible des textes sans altération, ni usage commercial avec mention de l'origine. .88x31.png Credit auteur : Ann.Ledoux