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Tigre et Dragon (卧虎藏龙, Wò Hǔ Cáng Lóng) film chinois réalisé par Ang Lee et sorti en 2000. AnalyseCélèbre virtuose des arts martiaux en Chine ancienne, Li Mu Bai décide de renoncer à sa vie de combats. Il confie sa légendaire épée " Destinée " à Lu Shu Lien (qu'il désire en secret) afin qu'elle la remette au seigneur Té. Mais l'épée est bientôt dérobée par un mystérieux voleur : Jen, la fille du gouverneur. Promise à un mariage arrangée, elle aspire à la vie d'aventure des chevaliers errants. Li Mu Bai va devoir retrouver son épée et démasquer le voleur et son complice. Ce film est une adaptation d'un roman de Wang Dulu (1909-1977), Tigres et Dragons, paru dans les années 1940 en République de Chine et à Hong Kong. Alternant combats aériens et déchirements intimes, Tigre et Dragon enchaîne les péripéties derrière son héroïne rebelle. La traduction exacte du titre du film, littéralement " Tigre tapi, Dragon caché " s'applique parfaitement à tous ses personnages déchirés entre tradition et aspirations personnelles. Avec le kung-fu, le film de sabre ( wu xia pian ) est l'autre genre fondateur du cinéma d'arts martiaux hongkongais. Né d'une tradition à la fois historique, littéraire et orale qui remonte aux origines de la culture chinoise, le wu xia pian est à rapprocher du film de "cape et d'épée ". Un genre purement héroïque, basé sur les qualités morales et individuelles des protagonistes. Littéralement, le terme wu xia pian désigne un " film de combats de chevaliers ".La figure centrale du genre est le you xia, qui selon une définition remontant à 90 avant J.-C. désigne un " chevalier errant ". Ses vertus sont le courage physique et moral, l'honnêteté, la générosité, l'honneur et le respect de la justice. Traditionnellement, le chevalier met sa vie et son épée au service de son clan, de la veuve et de l'orphelin. Par définition, il s'oppose au mal sous toutes ses formes. La dimension fantastique, constitutive du genre, offre au chevalier la capacité de voler, de s'évanouir dans la nature ou de survivre à d'innombrables blessures au mépris de toute vraisemblance. L'univers du wu xia pian est organisé de manière très codée. Le monde de la magie et des arts martiaux s'y divise en deux zones distinctes qui s'opposent au monde réel : le jiang-hu (littéralement " rivières et lacs ") désigne l'espace des chevaliers errants et le Lu Lin (" vertes forêts ") désigne celui des hors-la-loi. Tigre et Dragon accorde la première place aux femmes, elles constituent les moteurs de l'action. Si les personnages de Jade la Hyène et Lu Shu Lien sont d'une grande transparence pour le spectateur, leurs actes demeurant toujours explicitement motivés, le personnage de Jen exerce une fascination intense du fait de l'opacité de son comportement. Aspirant à une vie de liberté et d'aventure que lui interdit son statut de femme de la haute société promise à un mariage politique, son parcours témoigne d'une recherche intransigeante d'un modèle à suivre. La contradiction fondamentale du personnage réside précisément dans le heurt entre ses idéaux romanesques et son appartenance à un monde corseté par les conventions. Son parcours sera donc constitué de revirements incessants, résultant d'une insatisfaction fondamentale qui apparente ce personnage à Emma Bovary comme à Antigone. Sa relation avec Jade La Hyène repose sur la revendication féministe à l'égalité avec les hommes sur le plan de la maîtrise des armes. Jade La Hyène, rejetée par l'école du Wu Tang pour des motifs machistes, s'est réfugiée dans le monde des hors-la-loi (Lu-Lin). Ce modèle maternel sera finalement rejeté par Jen : elle n'accepte pas les crimes commis par Jade et elle a pris conscience très jeune avec désarroi de sa supériorité sur son mentor dans le domaine des armes. Ses convictions morales l'amènent donc à rejeter Jade. Les deux principaux personnages masculins du film, Li Mu Bai et Lo Siao Hu, proposeront à Jen d'échapper à son univers cloisonné. Il est à remarquer que, dans le film, le mode de relation entre Jen et ces personnages passe par la revendication d'objets symboliques. En effet épée et peigne, tour à tour dérobés et rendus, témoignent d'une relation de Jen aux hommes fondée sur la rivalité. Les deux séquences dans lesquelles s'exprime avec rage cette revendication mettent en place une logique dramatique analogue : la séquence de combat dans les bambous et la reconquête du peigne voient Jen à la poursuite des deux hommes. Elle affirme avec opiniâtreté son désir, les traitant en adversaires, tandis que dans les deux scènes ceux-ci la renvoient à son statut de femme en organisant une véritable parade de séduction. Sa combativité hargneuse témoigne de son refus de se voir renvoyer à son statut d'objet du désir masculin. L'épée Destinée, aux qualités légendaires, représente la maîtrise consommée des armes dans le film, apanage des hommes dans la société chinoise. Le vol de cette épée, symbole phallique s'il en est, témoigne de la volonté de Jen de contester le monopole masculin sur la société en s'appropriant le domaine des armes. Elle se refusera aussi à devenir le disciple de Li Mu Bai, dans son incapacité à accepter toute forme de discipline ou de soumission. La fin du film marque l'incapacité fondamentale de l'héroïne à accepter la réalité. Ce saut du haut de la montagne, filmé au ralenti, que les nuages et la musique de Tan Dun teinte d'onirisme, consacre un personnage qui rejoint la légende, sorte d'Antigone chinoise réfractaire aux concessions qu'imposent le monde réel.
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