Revoir Paris

De Cinéann.

Revoir Paris , film français de Alice Winocour, sorti en 2022

Analyse critique

Mia est interprète de russe, son compagnon chef de service à l'hôpital. À Paris, un soir au restaurant avec son compagnon, le repas est interrompu par une « urgence ». Sur le chemin du retour chez elle, l'orage surprend Mia à moto. Elle se réfugie au hasard dans un restaurant, L'Étoile d'or. Mia attend seule, en prenant un verre. Quelques instants plus tard, le destin bascule. Rien ne le présageait. Le restaurant est attaqué par des terroristes, qui mitraillent la clientèle et achèvent tout ce qui bouge ; Mia, sous la table, demeure face à l'atroce.

Traumatisée, Mia passe les trois mois suivants à la campagne chez sa mère. Désireuse de guérir et de comprendre ce qui s'est passé, Mia, partiellement amnésique, décide de retourner à Paris. Elle ne se souvient plus de la plus grande partie des événements. Elle rejoint une association de victimes qui s'entraident, rencontre une adolescente en deuil de ses parents, se fait insulter par une femme qui l'accuse de s'être enfermée dans les toilettes sans laisser entrer d'autres personnes. Elle rencontre aussi Thomas, qui fêtait ce soir-là son anniversaire avec des collègues. Il est grièvement blessé aux jambes, mais a conservé toute sa mémoire.

Peu à peu, Mia retrouve des bribes de souvenir. Elle se rend compte qu'elle a passé un long moment dans une cachette en compagnie d'un employé de cuisine du restaurant qui lui a tenu la main. Elle veut le retrouver, être sûre qu'il a survécu, mais sa recherche est compliquée par le fait qu'il s'agit d'un immigré sans papiers. Elle s'éloigne de son compagnon Vincent, qui n'arrive pas à comprendre ce qu'elle traverse, pour se rapprocher de Thomas. Elle découvre que ce n'est pas elle qui s'était enfermée dans les toilettes, mais la femme qui l'en avait accusée. Elle retrouve finalement Assane, le cuisinier qui lui avait tenu la main pendant qu'ils attendaient la police, et peut enfin l'enlacer.

Revoir Paris, pour Mia, c’est aussi changer de focale, faire une mise au point sur la vie qu’elle menait avant. Avant que la grande roue du hasard ne la précipite là où tout, désormais, les rues comme les sinuosités de son cerveau, la ramène sans cesse. En s’attachant à son obsession de retrouver l’homme qui lui a tenu la main le soir de la tragédie, Alice Winocour montre l’importance cruciale du collectif dans la reconstruction : la nécessité de se retrouver entre victimes, pour partager le traumatisme et en alléger le poids, mais aussi, et surtout, pour s’assurer que l’inconnu dont on a croisé le regard terrifié s’en est sorti. Le mouvement du film, d’abord centré sur Mia, puis de plus en plus choral, embrasse ce retour salvateur à autrui. Virginie Efira est encore une fois magnifiquement juste, tout comme Benoît Magimel, dans la peau d’un personnage qui s’accroche à la légèreté avec l’élégance du désespoir.

Alice Winocour déclare:

À l’origine de Revoir Paris, il y a d’abord une histoire personnelle, mon frère était au Bataclan le 13 novembre 2015. Un ami l’avait invité au concert d’Eagles of Death Metal. Pendant la soirée, je lui ai demandé des nouvelles par SMS, et il m’a dit de ne plus lui envoyer de messages pour éviter qu’il se fasse repérer par les terroristes. Il en est sorti sans blessures. Sans blessures physiques. L’idée de faire un film autour de cette expérience a mis du temps à mûrir. J’ai d’abord tourné Proxima. Puis j’ai écrit le scénario de Revoir Paris en m’inspirant des conversations que j’avais eues avec mon frère dans les jours et les mois qui avaient suivi les attentats, mais aussi en essayant de faire un travail sur la mémoire sensorielle de cette nuit-là, sur mes propres souvenirs. En rencontrant, grâce à mon frère, de nombreuses victimes ou proches de disparus, j’ai découvert l’existence des associations de victimes, des forums de discussion, tout un monde méconnu pour affronter la reconstruction. Il s’est très vite imposé que mon film ne raconterait pas le Bataclan ou les autres attentats de la nuit du 13 novembre, mais un attentat fictif pour, justement, faire un pas vers la fiction.

Je ne voulais pas toucher au Bataclan; mon frère m’a fait comprendre qu’il y avait quelque chose de l’ordre de l’irreprésentable. Le film raconte aussi des gens qui essaient de se connecter dans un monde déconnecté. Il dépasse le sujet des attentats. Les survivants passent beaucoup de temps à essayer de retrouver les personnes qui leur ont tenu la main au moment des événements. Des gestes fragiles, éphémères, qui donnent le sentiment d’appartenir à la société, à la communauté humaine, malgré la barbarie. Pendant les attentats, beaucoup de gens qui avaient des proches au Bataclan ont passé la nuit main dans la main, chez eux, pour que l’attente soit moins dure. Un psychiatre m’a appris que quand on se serre la main, le corps dégage de l’ocytocine, une hormone du bien-être. C’est la raison pour laquelle on retrouve des plans de mains dans mon film, en espérant qu’il génère lui aussi de l’ocytocine.

Je crois beaucoup au pouvoir de résilience de la fiction. C’est la fonction même du cinéma de rendre visible les choses invisibles. Le langage du corps, comment on exprime des émotions avec son corps, c’est presque la matrice de la création. Le cinéma est un langage qui permet de traduire des sensations qu’on ne peut pas exprimer autrement. Mon travail dans ce film a consisté à recréer tout ce que les terroristes veulent détruire : les liens entre les gens, les lumières, les couleurs de la ville, la chaleur humaine. De recoller les morceaux.

Distribution

Fiche technique

  • Réalisation : Alice Winocour
  • Scénario : Alice Winocour avec Jean-Stéphane Bron et Marcia Romano
  • Musique : Anna von Hausswolff
  • Photographie : Stéphane Fontaine
  • Montage : Julien Lacheray
  • Sociétés de production : Dharamsala - Darius Films
  • Durée : 105 minutes
  • Dates de sortie : 21 mai 2022 ( Quinzaine des réalisateurs Festival de Cannes 2022)
    • 7 septembre 2022 (sortie nationale)
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