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La Cérémonie, film français de Claude Chabrol, sorti en 1995

Analyse critique

Sophie, bonne dévouée mais analphabète et secrète, est engagée au service d'une famille bourgeoise de Saint-Malo qui ne se rend pas compte du décalage qui existe. Son amitié avec la postière, curieuse et envieuse, va déclencher le drame.

(Explication du titre: La cérémonie désignait autrefois l'exécution des condamnés à mort)

Ce film est une critique sombre de la société bourgeoise bloquée et qui accapare la connaissance et la parole. Chabrol ne prend pas partie mais décrit minutieusement ce mécanisme qui conduit à l'explosion finale. Il fait preuve de maîtrise dans l’art de l’amoralité ironique et du maniement de toutes les techniques cinématographiques au service d’une histoire, et non d’un propos. Bien que les vieux démons de Chabrol soient présents comme des oppositions, sociales ou sexuelles, le réalisateur n’a probablement jamais laissé autant de place à la réflexion, à la surprise, pour certains au malaise.

La Cérémonie vaut tout d’abord pour ses remarquables portraits de femmes et de classe. Les deux personnages principaux sont emblématiques. La première arrive par le train pour travailler chez les Lelièvre, la seconde est postière et déteste a priori la famille de notables du coin.

Le niveau social des deux femmes transparaît en premier lieu par le langage familier : en témoigne la chanson de la Jeanne en forme de contrepèterie : « Il court, il court, le furet... il fourre, il fourre, le curé... » On retrouve cette fonction révélatrice du langage chabrolien qui, avec l’apparence physique et l’environnement de la femme, porte le sens de son action et son évolution. Dans le registre du double social, Sophie est habillée comme une enfant qu’elle est restée, ne pouvant évoluer intellectuellement à cause de son analphabétisme. Elle a des gants à motifs, des chemises roses de petite fille, des pulls à grands carreaux comme on n’ose en porter que lorsqu’on vous y oblige, des vêtements dépareillés qui mettent en relief sa puérilité.

Toute sorte de symboles sociaux sont présents dans le film : la seule à avoir un véritable emploi est le personnage de Jeanne, qui exerce la fonction de postière dans le village. Mais on ne voit celle-ci que peu à son bureau de poste, et le travail n’a vocation dans le film qu’à entretenir sa paranoïa en ouvrant le courrier des Lelièvre, la famille bourgeoise locale chez qui travaille Sophie. Ainsi le travail n’est pas un facteur d’intégration sociale. Nous avons donc affaire à des femmes actives mais non à des femmes laborieuses. L’exclusion de ces femmes découle de leur non-appartenance à un milieu ou de leur exclusion de celui-ci : leur parcours est déterminé par la volonté de se frayer un chemin dans les rangs des Bourgeois. Pour Jeanne et Sophie, la reconnaissance passera par un bain de sang, la victoire par la supériorité physique. On le voit bien lorsque Sophie et Jeanne déchirent avec violence les vêtements de Mme Lelièvre : l’apparence est en quelque sorte la première nature de cette sphère sociale.

L’intérêt de La Cérémonie réside aussi dans sa force dramatique amorale : il y existe une dialectique de renversement systématique entre le bien et le mal. Le spectateur comprend le geste, comprendre n’étant pas excuser, car le film est une danse sacrificielle menant au massacre. Jeanne et Sophie ne font pas la différence entre les deux concepts : c’est presque un sujet de plaisanterie entre elles. Après qu’elles se sont plus ou moins avouées leurs deux premiers crimes, Jeanne s’écrie en allant apporter son « aide » aux œuvres de la paroisse : « On va aller faire le bien, ça nous changera ! » Cette réplique, lancée à l’emporte-pièce, montre bien la tournure d’esprit de Jeanne : elle connaît l’existence du bien et du mal, mais ne sait pas les distinguer. Elle ne pense qu’en termes de concurrence et de hiérarchie sociale.

Le poste de télévision prend une dimension toute particulière : en entrant dans sa chambre, Sophie l’analphabète cachée allume immédiatement la télévision et entend « On ne peut être juste si l’on est humain ». Prélude au massacre, cette phrase contient un début d’explication : le désir d’être reconnu en tant qu’humain pourrait alors balayer l’absence de justice ou de moralité. Toujours dans le registre de la distinction sociale, Chabrol a défini ainsi le personnage de Sophie l’analphabète : « C’est l’idée maîtresse du film qui s’affirme ici : l’incapacité de lire est présentée comme une souffrance du regard, la douleur viscérale de Sophie, exclue du monde, de ceux qui peuvent maîtriser, dominer, ce qu’ils voient. » C’est aussi au travers du petit écran que l’on entend dans la chambre de bonne une émission pour enfant et un credo : « Dites non, non, non, non ! » L’écran apparaît alors comme l’image de la puérilité de Sophie et de son conditionnement par de faux appels à la révolte. Elle reste impassible, tel un animal qui ne comprend pas, happée par l’image qui défile, et cette scène revient périodiquement montrant qu’il s’agit de l’une des activités principales du personnage. Claude Chabrol perçoit cet instrument non comme un outil d’information ou d’apprentissage mais comme une formidable négation des consciences. Cet écran est le seul à pouvoir être regardé sans réflexion, sans compréhension : les autres choses qui nécessitent un savoir sont bannies par Sophie qui déclare : « J’aime pas les machines. » L’objet est alors presque vivant et doit se combattre comme un ennemi de taille, un ennemi auquel elle ne peut avoir accès, comme elle combat ses ennemis de classe.

La Cérémonie est un montage serré de petites luttes insidieuses, chaque scène, chaque plan fait état de cette lutte des classes en usant du parallèle entre les deux bords représentés, et de l’impossible réunion de ceux-ci : la confrontation humaine est constante, dans l’absolutisme de la conscience de classe, dans la fausse gentillesse, surtout au travers du personnage de Mélinda, la fille Lelièvre que incarne ce politiquement correct cherchant à masquer un profond mépris. Elle demande à ses parents d’appeler Sophie par son prénom parce que « bonne, c’est humiliant » et que « c’est un être humain, pas un robot » ; elle traite son père de « fasciste », mimant une fausse rébellion contre l’ordre établi qui la protège et qu’elle a parfaitement adopté. Elle est née le même jour que Sophie et cherche même une certaine connivence avec elle : mais le dimanche de son anniversaire où Sophie part malgré les ordres des Lelièvre, son opinion change soudainement. Lorsqu’il s’agit d’elle-même, elle ne peut accepter le moindre manquement à la règle. Les événement s’accélèrent d’ailleurs après que Mélinda a donné une petite tape sur l’épaule de Sophie. Enfin, elle est en quelques sorte à l’origine du drame, puisque c’est elle qui découvre l’analphabétisme de Sophie et est la cause du chantage funeste. Mélinda, avec l’enfant qu’elle porte, symbole de la reproduction d’une catégorie sociale, sera sa première victime. Ainsi la famille a-t-elle constitué un entraînement pour les personnages : Jeanne et Sophie se rapprochent l’une de l’autre en se contant leurs respectives « erreurs de jeunesse ». Bien que l’« on ait rien pu prouver », on sait que Jeanne a tué sa fille anormale et que Sophie a assassiné son père au gaz. La famille est toujours un lieu de manque, manque d’amour principalement. C’est au sein de la famille que naissent les rancœurs sociales ou affectives, et dans le conflit physique qu’elles meurent.

Claude Chabrol déclare : « J’ai pensé à la cérémonie parce que les deux femmes considèrent cet acte comme une exécution capitale, c’est-à-dire la punition d’une faute dans une société déterminée. » En effet, comme on coupait les cheveux des femmes ou le col de veste des condamnés, elles déchirent tout d’abord les vêtements des Lelièvre, puis arrosent leur lit de chocolat chaud, comme pour salir le symbole de la reproduction d’une société. En somme, elles les exécutent en bonne et due forme, ce qui définit l’action finale non pas comme le résultat d’une démence passagère, mais bien d’un acte construit et maîtrisé, et donc, d’un acte bien plus dérangeant.

Distribution

  • Sandrine Bonnaire? : Sophie
  • Isabelle Huppert : Jeanne
  • Jacqueline Bisset : Catherine
  • Jean-Pierre Cassel : Georges
  • Virginie Ledoyen : Mélinda
  • Jean-François Perrier : Le prêtre
  • Valentin Merlet : Gilles
  • Julien Rochefort : Jérémie
  • Dominique Frot : Madame Lantier
  • Christophe Lemoine : le marchand de lunettes

Fiche technique

  • Réalisateur : Claude Chabrol
  • Scénario : Claude Chabrol et Caroline Eliacheff, d'après le roman de Ruth Rendell, A Judgement in Stone (L'Analphabète).
  • Producteur : Marin Karmitz
  • Musique originale : Matthieu Chabrol
  • Photographie : Bernard Zitzermann
  • Montage : Monique Fardoulis
  • Durée: 112 minutes
  • Date de sortie : 30 août 1995
Reproduction possible des textes sans altération, ni usage commercial avec mention de l'origine. .88x31.png Credit auteur : Ann.Ledoux