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La Graine et le mulet film français de Abdellatif Kechiche , sorti en 2007

Slimane, dignité incarnée, est homme de réconciliation. Divorcé et compagnon épisodique de la propriétaire de l'Hôtel de l'Orient, il compte mobiliser ses deux familles pour transformer un vieux rafiot en restaurant convivial. Sa femme, ses enfants, leurs conjoints, sa maîtresse, sa fille adoptive qui l'accompagne dans ses démarches administratives et veille à la réussite du projet. La réussite du film, elle, tient à la manière dont Kechiche fait accoucher des acteurs presque tous amateurs d'une vive humanité, dont il enregistre la sensualité des gestes du quotidien: délectation à manger un plat avec les doigts, essorage d'une serpillière, crise autour d'un pot de chambre. Elle tient aussi à l'art avec lequel il use de l'ellipse, de la digression, du suspense, de la scène dilatée et de la cascade de récits romanesques enchâssés pour savourer le plaisir du conte et le mélange du réalisme et du lyrisme, du social et du sentimental, de la comédie et du drame, du trivial et du métaphysique.

Avec Abdellatif Kechiche, cinéaste qui prend son temps (La Graine et le mulet dure deux heures trente, et encore il a coupé !), on est immédiatement au cœur de tout. Des gens. De leur quotidien. De leurs drames, petits ou grands. Et des instants d'intimité qui les rapprochent. Ainsi le couscous dominical, auquel presque tout le clan assiste, y compris Mario, l'étranger, qui a épousé une des femmes de la famille, mais qu'on charrie, parce qu'il ne sait toujours pas parler l'arabe mis à part quelques mots d'amour. Souad, la cuisinière en chef, la mère de famille et la fée du couscous au poisson, n'oublie jamais d'en préparer une assiette pour Slimane, son ex-mari, qui vit depuis longtemps pas loin, dans le petit hôtel tenu par « l'autre », qui a toutes les qualités, mais dont personne ne mange la cuisine, même les pensionnaires de l'hôtel.

Le couscous, dans le film, c'est tout à la fois. Une connivence. Un lien. La ruse, plus ou moins consciemment trouvée par Souad, pour ne pas se faire oublier de son ex-mari. Ou encore, pour Slimane, la possibilité d'un renouveau. Il a été renvoyé sans ménagement, juste avec quelques sous de dédommagement, du chantier naval où il a travaillé toute sa vie. Certains de ses enfants voudraient le renvoyer dans le bled. Mais Slimane ne peut accepter que sa vie d'immigré en France ait été inutile. Il veut transmettre quelque chose à ses enfants, même si ses enfants s'en moquent un peu.

Tout le film exalte les mille et un visages, spontanés ou hypocrites, de l'éloquence. Joutes verbales familiales, démarches pour trouver des fonds, discours du patron, de l'ouvrier, de la banquière, de l'agent municipal, baratin du mari cavaleur et hystérie de l'épouse trompée, tchatche mi-arabe mi-bretonne et ruses des serveuses pour faire patienter les clients, avalanche d'arguments d'une fille pour convaincre sa mère de rejoindre la fête : autant de signes d'une indispensable énergie vitale, que la dépense physique ne compense pas.

Au contraire, Slimane est calme et silencieux. Aux coups de la vie, il oppose sa détermination, son silence, contredit par un regard qui, lui, en dit long. Il s'obstine. Ce restaurant, il l'ouvrira, coûte que coûte. Avec l'aide de Rym, la fille de sa compagne, nettement plus bravache que lui, il entame l'héroïque parcours du combattant, obligatoire, en France, pour celui qui songe à monter une petite entreprise : bilans financiers à gogo, licences obligatoires que chaque administration se refile comme dans un ping-pong sans fin. Afin de convaincre les derniers hésitants à lui accorder autorisations et subsides, Slimane décide d'organiser une fête, un couscous au poisson géant...

Les personnages secondaires sont savoureux. Ainsi les copains de Slimane, à la décontraction joueuse, qui discutent de son sort à la terrasse de l'hôtel où il vit : ils se mettent à ressembler à un chœur antique qui aurait trop lu la trilogie marseillaise de Pagnol. Kechiche filme des morceaux d'humanité. Des blocs. Comme ce plan-séquence saisissant où Rym tente de convaincre sa mère, murée dans son refus, de se rendre à la fête de Slimane. C'est un moment étourdissant, où se mêlent et s'emmêlent reproches, menaces, flatteries, exhortations, chantages... Comme dans L'Esquive, les mots se bousculent, les expressions, toujours les mêmes, répétées à l'infini, deviennent une litanie étrange, bizarre mélange de langue parlée et de texte ourlé. C'est magnifique.

Certains regretteront quelques ellipses narratives, associées à des longueurs insistantes. C'est le style même de Kechiche d'avancer ainsi par soubresauts successifs. D'autres lui reprocheront un montage parallèle, un rien répétitif, entre la course solitaire de Slimane dans les rues de Sète et la danse du ventre de Rym, sur le bateau en fête. Mais cet étirement du temps nourrit alors un vrai suspense : la graine du couscous, mystérieusement disparue, sera-t-elle retrouvée à temps pour permettre à Slimane de gagner son pari ? Jusqu'au bout, Kechiche ne dévie pas : il filme la tragédie d'un homme qui veut se prouver qu'il existe encore. Il filme le plus honnêtement du monde. Le plus simplement.

La fin est poignante et présente une double morale. Elle nous dit que la parole a plus de chances d'ensorceler que le corps, qui fatigue. Le sacrifice de l'adolescente qui se déguise en Shéhérazade pour une diplomatique danse du ventre (l'inauguration tournant au fiasco, elle n'a plus que son corps à offrir) ne sert qu'à gagner quelques minutes. L'impuissance des recours charnels est soulignée par le montage parallèle de deux marathons. En quête de sa semoule, Slimane court à petits pas, de plus en plus essoufflé, après les trois gamins qui lui ont volé sa motocyclette et pétaradent sadiquement sous son nez, pendant que sa fille fait patienter les clients en ondulant du nombril. Pendant ce temps là, la mère ne pense qu'à son salut spirituel, à la recherche d'un pauvre, et ses filles, trop habituées à la voir diriger, sont incapables de prendre l'initiative de refaire cuire du couscous.

Distribution

  • Habib Boufares : Slimane
  • Hafsia Herzi : Rym
  • Faridah Benkhetache : Karima
  • Abdelhamid Aktouche : Hamid
  • Bouraouia Marzouk : Souad
  • Alice Houri : Julia
  • Leila D'Issernio : Lilia
  • Abelkader Djeloulli : Kader
  • Olivier Loustau : José
  • Sabrina Ouazani : Olfa
  • Mohamed Benabdeslem : Riadh
  • Bruno Lochet : Mario
  • Cyril Favre : Serguei
  • Sami Zitouni : Majid
  • Mohamed Karaoui : Latifa
  • Henri Rodriguez : Henri
  • Nadia Taoul : Sarah
  • Carole Franck
  • Gilles Matheron

Fiche technique

  • Titre : La Graine et le mulet
  • Réalisation : Abdellatif Kechiche
  • Scénario : Abdellatif Kechiche
  • Adaptation & dialogues : Abdellatif Kechiche, Ghalia Lacroix
  • Montage : Camille Toubkis, Ghalia Lacroix
  • Photographie : Lubomir Bakchev
  • Costumes : Mario Beloso Hall
  • Décors : Benoît Barou
  • Production : Pierre Grunstein (producteur exécutif), Nathalie Rheims (productrice associée), Claude Berri (producteur)
  • Durée : 151 minutes (2 h 31)
  • Dates de sortie : 3 septembre 2007 (Festival de Venise) ; 12 décembre 2007 (France)

Récompenses

  • Prix spécial du jury (ex-æquo) lors de la 64e Mostra de Venise (2007).
  • Prix Marcello-Mastroianni (jeune acteur ou actrice) : Hafsia Herzi pour La Graine et le Mulet.
  • Prix Louis-Delluc 2007
Reproduction possible des textes sans altération, ni usage commercial avec mention de l'origine. .88x31.png Credit auteur : Ann.Ledoux