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La Question est un film français de Laurent Heynemann, présenté au public en 1977. La Question s'inspire très directement d'un livre d'Henri Alleg, publié en 1958. Le nom d'Henry Alleg a seulement été changé en Henri Charlègue.

Voir la liste des films ayant un lien avec la Guerre d'Algérie

Le livre

Henri Alleg est séquestré un mois à El-Biar où il est torturé et subit un interrogatoire mené après une injection de penthotal. Il est ensuite transféré au camp de Lodi où il reste un mois puis à Barberousse, la prison civile d'Alger. C'est là qu'il écrira La Question, dissimulant les pages écrites et les transmettant à ses avocats.

Dans La Question , il raconte sa période de détention et les sévices qu'il y a subi, en pleine guerre d'Algérie. Tout d'abord publié en France aux éditions de Minuit, l'ouvrage est immédiatement censuré. Nils Andersson le réédite en Suisse, quatorze jours après l'interdiction frappant en France en mars 1958. Malgré son interdiction en France, ce livre a considérablement contribué à révéler le phénomène de la torture en Algérie.

Alleg, un français, directeur d'Alger Républicain, interdit en septembre 1955, se voit obligé de passer dans la clandestinité douze mois plus tard. Il est arrêté le 12 juin 1957 par les parachutistes français… Il restera entre leurs mains pendant un mois (c’est le récit de cette détention qu’il fait dans ce livre).

Comme lui, des centaines, des milliers de civils sont arrêtés à leur domicile, dans la rue ou sur leur lieu de travail. Aucune charge contre eux n’a été retenue ; on les interne dans des camps (Berrouaghia, Bossuet, Paul-Cazelle, etc.) sur simple décision administrative… « …entassés quinze ou vingt dans des pièces […] où ils dormaient à même le ciment. Ils étaient constamment dans l’obscurité, des jours, des semaines durant -quelque fois plus de deux mois ». Là, sans avocats et sans droits, ils cessent d’être des humains ; et après bien des traitements barbares, la majorité d’entre eux disparaît. Les tortionnaires, les bourreaux sont désignés de longues dates. Pourtant, ils continuent de servir leur pays en toute impunité.

Quant aux survivants des geôles, ils se heurtent à des instructions judiciaires qui nient les faits… Alleg est du nombre.

L’exergue du premier chapitre : « En attaquant les Français corrompus, c’est la France que je défends », ne laisse aucun doute sur ce qui va suivre. Nous aurons affaire à un témoignage qui se veut sans haine ; digne. Et c’est en effet ce que nous trouvons. « je n’oserais plus parler encore de ces journées et de ces nuits de supplices si je ne savais que cela peut-être utile »… A peine arrivé, Alleg voit des « prisonniers jetés à coup de matraque d’un étage à l’autre et qui, hébétés par la torture et les coups, ne savent plus que murmurer en arabe les premières paroles d’une ancienne prière ». Des nuits entières pendant trente jours, il entendra hurler des hommes que l’on torture. Des femmes aussi sont amenées et enfermées dans l’autre aile du bâtiment Les préparatifs de l’interrogatoire sont simples et terribles. La victime doit se prêter au jeu. Alleg se déshabille seul, s’allonge seul, nu sur une planche noire, « souillée et gluante de vomissures ». On l’attache, on lui parle presque courtoisement : « ça va faire mal si vous ne parlez pas... »

Et puis, une barbarie sans nom commence. Une violence inouïe et un sadisme qui crève l’âme. Le supplice d’Alleg rempli des pages et des pages que l’on passe, haletant ! Un para prend le relais de l’autre. On l’asperge d’eau. On lui branche la pince tantôt sur le sexe, tantôt sur l’oreille, on lui plonge les fils denudés dans la gorge. Le courant soude sa mâchoire. Un martyre d’une horreur indescriptible ! Alleg tient bon. Les paras furieux lui disent : « Tu l’auras voulu ; on va te livrer aux fauves ».

Le fauve, c’est la grosse Gégène. « je sentis une différence de qualité. Au lieu de morsures aiguës et rapides qui semblaient me déchirer le corps, c’était maintenant une douleur plus large qui s’enfonçait profondément dans tous mes muscles et les tordait plus longuement ». Il ne parle toujours pas. Les paras changent de tactique ; un linge sur la tête, on lui applique le supplice du robinet ; il défaille mais reste muet… Enfin on le laisse tranquille. Cette première séance aura duré 12 heures. On le jette sur une paillasse couverte de fils barbelés.

Alleg ne dénonce aucun de ses amis ; les tortionnaires varient alors les sévices ; l’eau, l’asphyxie, les brûlures, les passages à tabac, les simulacres d’exécution, l’intimidation : « Ils avaient torturé Mme Touri (la femme d’un acteur bien connu de radio Alger) devant son mari, pour qu’il parle ». Il est terrorisé à l’idée de voir un jour apparaître sa femme… Il vacille. « Et brusquement, j’entendis des cris terribles. Tout près, sans doute dans la pièce d’en face. Quelqu’un qu’on torturait. Une femme. Je crus reconnaître la voix de Gilberte ». Mais il se trompe ; sa femme est en métropole. Il tient bon.

Et puis, après des jours et des jours de tourment, il ne sent plus rien : « ils pouvaient peut-être m’arracher les ongles ; je m’étonnai aussitôt de ne pas en ressentir plus de frayeur et je me rassurai presque à l’idée que les mains n’avaient que dix ongles ». Son corps, ses muscles, son âme ne répondent plus ; les coups, l’électricité sont inefficaces ; les paras sont impuissants… Dans un suprême effort, ils essayent alors le penthotal. Des médecins font la besogne mais pas plus de résultat.

La rumeur de l’exécution rôde autour de lui. « Il ne vous reste plus qu’à vous suicider », lui dit l’aide de camps du général Massu, le lieutenant Mazza ; envoyé comme ultime espoir… La métropole s’agitait. Le prisonnier devenait encombrant, les paras impuissants.

La maigre excuse que peuvent encore aujourd’hui utiliser les défenseurs à outrance de la raison d’état est que ces horreurs furent perpétrées par quelques centaines d’hommes tout au plus; qu’il est insensé de juger une nation toute entière pour des exactions vieilles de 50 ans, etc. On retrouvera pourtant certains de ces hommes et de ces « groupes d’intérêts » dans toute l’histoire de la Cinquième République.

Le film

En 1977, Laurent Heynemann, jeune réalisateur, ancien assistant de Bertrand Tavernier, porte le livre à l’écran. Le film est à l’affiche en avril. Mais, sous les pressions, de groupes d’extrême droite notamment, il est maintes fois déprogrammé. Sa carrière en salle est brève. On y retrouve, intact, l’impact du témoignage d’Henri Alleg. Comme le livre, le film, d’un classicisme du meilleur aloi, s’attache aux faits, rien qu’aux faits. Il les restitue avec une justesse et une sobriété manifestes jusque dans le jeu des acteurs.

C'est un film témoin, film réquisitoire aussi. Contre la torture, bien sûr, en montrant combien elle est négation, violation de l’humanité des victimes. Et ce, tout en évitant le piège de la complaisance. On saura ainsi infiniment gré à Laurent Heynemann d’évoquer toute l’horreur de la torture sans s’appesantir sur les sévices infligés, mais sans masquer, pour autant, l’humiliation, l’asservissement, la souffrance.

C'est surtout un film document. Laurent Heynemann a choisi d’élargir le propos du livre. Au début, il met en scène la traque, de planque en planque. Puis, quand le livre s’arrête, le film, lui, continue. Sont alors évoqués les mois d’emprisonnement, l’écriture et la publication du livre, le procès de l’affaire Audin, du nom de ce jeune mathématicien torturé à mort, l’évasion d’Alleg après sa condamnation à dix ans de prison. Autant d’éléments qui permettent d’inscrire le film dans la chronique de l'histoire de la guerre et de l'humanité.

Distribution

  • Jacques Denis : Henri Charlegue
  • Nicole Garcia : Agnès Charlegue
  • Jean-Pierre Sentier : Lieutenant Charbonneau
  • Françoise Thuries : Josette Oudinot
  • Christian Rist : Maurice Oudinot
  • Michel Beaune : Professeur Fayard
  • Djéloul Beghoura : Hamid
  • Jean Benguigui : Claude
  • Maurice Bénichou : Vincent
  • Roland Blanche : Derida
  • Jacques Boudet : Commandant Roch

Fiche technique

  • Réalisation : Laurent Heynemann
  • Scénario : Laurent Heynemann, Claude Veillot d'après le récit autobiographique d'Henri Alleg
  • Musique : Antoine Duhamel
  • Photographie : Alain Levent
  • Format : Noir et blanc
  • Durée : 112 minutes
  • Date de sortie: 4 mai 1977 ( France)
Reproduction possible des textes sans altération, ni usage commercial avec mention de l'origine. .88x31.png Credit auteur : Ann.Ledoux