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Le Cri (Il Grido) est un film italien de Michelangelo Antonioni, sorti en 1957

Analyse

A Goriano, un petit village de la campagne toscane, non loin de Ferrare, un ouvrier chauleur, Aldo, vit en concubinage avec Irma, dont il a une petite fille, Rosina. Le mari, émigré, est mort à Sydney. Après bien des tergiversations, Ima décide de rompre. Aldo quitte Goriano et part sur les routes avec sa fille. Au cours de sa longue errance, il va d'abord rencontrer Elvia, qui fut autrefois sa fiancée; il couche avec la sœur de celle-ci, Edera, puis repart. Il s'installe chez Virginia, une garagiste à la sensualité exigeante, qui ne peut supporter la présence de Rosina. Aldo fuit à nouveau, se fixe chez Andreina, une fille facile, puis retourne auprès de Virginia.

Las de cette vie sans but, il rentre finalement à Goriano dans l'espoir de renouer avec Irma, la seule femme qu'il aime vraiment. Il parvient dans le village au moment où les paysans et les ouvriers se révoltent contre les expropriations décidées par le gouvernement italien. Indifférent aux conflits sociaux, Aldo s'approche de la fenêtre de la maison d' Irma et la voit langer un nouvel enfant qui n'est pas de lui. Il se précipite alors à l'usine et grimpe en haut d'une tour. Irma le suit et l'appelle, mais Aldo se laisse tomber dans le vide. Le silence parfait qui règne alors est seulement percé par le cri d'Irma, qui donne son titre au film.

Seul film de Michelangelo Antonioni sur la classe ouvrière, le Cri est aussi son œuvre la moins abstraite. Sur un scénario dramatique qui évoque les grands œuvres néoréalistes, Michelangelo Antonioni suscite l'émotion du spectateur avec pudeur et humanité, tout en approfondissant ses recherches thématiques et esthétiques personnelles. Lors de sa sortie, le Cri a été vilipendé par la critique, qui n’acceptait pas de voir un ouvrier se suicider par amour. Cet aveuglement a de quoi surprendre, chacun aujourd’hui s’accordant à tenir le Cri pour une œuvre au réalisme admirable et au sujet magnifique.

Dans des paysages de brume, où le réalisateur sait capter une réelle beauté de la grisaille et fait naitre de très touchantes images, l'errance désespérée d'Aldo est une descente aux enfers, décrite avec un talent rarement égalé. La présence de la petite fille n'est jamais racoleuse, même dans les scènes les plus fortes : la rencontre avec les fous dans la campagne, la gifle qu'elle reçoit pour avoir failli passer sous un camion, les questions à sa mère, la complicité avec le vieux révolté ivrogne, la découverte de la liaison de son père avec Virginia, ou encore son hébètement dans le car qui la reconduit chez elle.

Pour suggérer la tragédie d’Aldo, Antonioni ne pouvait choisir une toile de fond plus adaptée que la plaine du Pô l’hiver, qui ne connaît d’autres tonalités que le gris, d’autres dimensions que le vide. La mise en scène transfigure le paysage réel en un espace abstrait, un paysage de la conscience, en accentuant les lignes horizontales dans les extérieurs et les intérieurs, à part quelque rare arbre, quelque réverbère, l’unique ligne verticale est celle de la tour de laquelle se jette le protagoniste, c’est presque une transcription spatiale, hors de portée, du « cri ». Dans les intérieurs ce sont les plafonds qui ferment horizontalement l’espace, qui est ensuite sectionnée par des lignes droites, mettant en évidence des éléments architecturaux et de décoration.

L’horizon à perte de vue est exalté en outre par le « balayage » de l’image sur divers plans, obtenu soit par la disposition des personnages (distance entre les personnages et la caméra et entre les personnages eux-mêmes, qui ne cessent de s’éloigner les uns des autres pour rester souvent seuls dans le champ), soit par l’emploi d’une extraordinaire gamme de gris. La séquence du delta est exemplaire en ce sens. Mais aussi les scènes qui se déroulent en intérieurs sont presque toujours jouées sur divers plans et dominées par les contrastes de lumière et d’ombre.

Pour la richesse des tonalités Le Cri a été défini « un film en noir et blanc colorés ». Le brouillard, la pluie, la neige, la boue, deviennent avec la superbe photographie de Gianni di Venanzo un mélange de gris capable d’enregistrer toutes les nuances d’une échelle chromatique qui, dans la réalité, échappe souvent à notre œil. Comme « absorbés » par le paysage, les personnages tendent à s’y confondre, à devenir eux-mêmes un des éléments : une interprétation en-deçà, privée de couleurs psychologiques et avec une expression du visage réduite volontairement au minimum. Comme l’espace, le temps a dans le film une valeur propre. Antonioni tend à remettre à zéro le temps du récit en espaçant les séquences chronologiques.

Critique de André Bazin

L’intérêt du cri réside dans l’originalité d’un scénario dont l’action est presque insaisissable et, d’autre part, dans la tonalité générale imposée au récit par la mise en scène et surtout par le style des images. Un ouvrier est abandonné par la femme avec laquelle il vit. Il part avec sa fille un peu à l’aventure en hiver, à travers les paysages désolés, plats et boueux de la plaine du Pô. Pour s’éloigner du village où il habitait, pour trouver du travail, en partie aussi pour rencontrer des raisons d’oublier la femme qui l’a quitté. Les occasions ne manquent pas, mais de femme en femme, il reviendra vers la première, dont il a compris ne pouvoir se passer. Découvrant qu’elle vient d’avoir un enfant, il se suicide.

Critique de Louis Seguin dans Positif juillet 1957

Il faut lever ici une équivoque: le changement de décor, la substitution de la pauvreté, du froid et de la boue aux brillances chaudes de la modernité pourraient laisser croire à une conversion tardive d'Antonioni au fantomatique « néoréalisme ». Mais il n'y a là nul optimisme sommaire à la De Sica, nulle conscience du péché rossellinienne, aucun attendrissement sur la poésie des haillons ou sur la fraternité du petit peuple.

Les ambitions de Michelangelo sont autres et bien autrement passionnantes. Il a à coeur de dire que la pauvreté est toujours humide et glaciale, que tout est dépeuplé si un seul être vous manque, et que nul miracle ne saurait reconstruire les amours brisées: Il Grido est l'anti-Voyage en Italie. Que l'on voyage en stop sur les camions-citernes de la B.P.M., que l'on roule en Fiat 1100 ou en Maserati, l'amour et son contraire tout proche, le désespoir, ont les mêmes couleurs.

Distribution

  • Steve Cochran : Aldo
  • Alida Valli : Irma
  • Betsy Blair : Elvia
  • Gabriella Pallotta : Edera, sa soeur
  • Dorian Gray : Virginia
  • Lynn Shaw : Andreina
  • Mirna Girardi : Rosina

Fiche technique

  • Titre original : Il Grido
  • Réalisation : Michelangelo Antonioni
  • Scénario : Michelangelo Antonioni, Elio Bartolini et Ennio De Concini
  • Direction de la photographie : Gianni Di Venanzo
  • Montage: Eraldo Da Roma
  • Production : Franco Cancellieri
  • Musique originale: Giovanni Fusco
  • Dates de sortie : 22 juin 1957 (Italie); 3 décembre 1958 (France)
  • Format : noir et blanc
  • Durée : 116 minutes
Reproduction possible des textes sans altération, ni usage commercial avec mention de l'origine. .88x31.png Credit auteur : Ann.Ledoux