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Matador film espagnol réalisé par Pedro Almodóvar et sorti en 1986

Analyse critique

Ángel est un jeune homme impuissant, doutant de sa virilité, troublé qui vit entre sa mère tyrannique, membre de l'Opus Dei, et les cours de tauromachie, dispensés par le ténébreux Diego Montes, qu'une blessure a contraint à la retraite. Un soir, Angel, interprétant les paroles de son professeur, tente de violer en pleine rue sa voisine, la jolie Eva, mannequin à ses heures et petite amie de Diego Montes. Cependant, son impuissance l'en empêche et il s'évanouit à la vue de l'égratignure que la jeune femme s'est faite en tombant. Le lendemain, il se dénonce auprès d'un commissaire. Puis, découvrant des photos de meurtres et de disparues dans le bureau, Angel s'accuse de plusieurs crimes. En réalité, ceux-ci sont d'une part le fait de Diego, son maître, et d'autre part de Maria Cardinal, une jeune avocate, véritable mante religieuse qui assassine ses amants d'un coup d'épingle dans la moelle épinière, à la fin de l'acte sexuel.

Diego ne va d'ailleurs pas tarder à connaître cette femme, car c'est elle qui doit assurer sa défense. Grâce à ses visions, Angel parvient à conduire sa psychiatre ainsi que la police jusqu'aux cadavres des deux jeunes filles assassinées par Diego. Depuis quelque temps, l'ex-torero et Maria l'avocate ont fait connaissance, se sont sentis irrésistiblement attirés l'un vers l'autre et ont découvert qu'ils étaient de la même "race", celle de ceux qui aiment jouer avec la mort. Une éclipse se prépare dans le ciel. Deux astres s'apprêtent à s'unir. Au même moment, Diego et Maria fuient ensemble la ville et l'imminence de leur arrestation. Dans une maison de campagne, ils font l'amour et, au sommet d'un orgasme fabuleux, s'entretuent. La police était sur le point d'intervenir; le commissaire s'arrête respectueusement sur le seuil de la porte, subjugué par la beauté de ces deux corps nus, enlacés et ensanglantés.

Sorti deux ans avant Femmes au bord de la crise de nerfs qui lancera la carrière d'Almodovar, ce film contient déjà beaucoup des caractéristiques de sa filmographie, ses acteurs, ses thèmes de prédilection. Le spectateur découvre déjà le ton de la mort, de la passion sexuelle, de la couleur rouge mais aussi de la place de l’église et de cette supériorité des femmes au tempérament de feu. Ses personnages ne sont pas lisses mais torturés, poussés par d’indicibles démons intérieurs, ce qui les rend d’autant plus fascinants.

Matador suit le destin de trois personnages à la recherche de leur place. Celle de Diego était dans l’arène mais un accident l’a forcé à s’en trouver une autre qui ne lui permet plus d’assouvir ce pour quoi il vibre. Il l‘avouera à Maria dans la scène finale: "Cesser de tuer était pour moi comme cesser de vivre". Maria, comme elle le dit elle-même dans le film, appartient à la même race que Diego, la mise à mort fait partie intégrante de sa vie. Au début du film, Diego expliqueb à ses élèves l’art de cette mise à mort alors qu’en parallèle, Maria recherche sa prochaine victime avant de l’entraîner pour la tuer dans les règles énoncées par le torero. Le montage en alternance permet alors au spectateur d’apprécier la théorie et la pratique et en même temps déjà le lien si particulier qui unit les deux personnages. Angel va leur permettre de se trouver. N’ayant pas eu de figure paternelle à la maison, il s’en choisit une en la personne de Diego. Il sait qu’il ne dépassera jamais son maître alors se contente de vouloir l’imiter, afin de lui prouver qu’il peut faire comme lui. Il échoue et, ne voulant affronter son maître, préfère se faire enfermer et ainsi permettre au destin de mettre en présence l’avocate et le matador. Angel, avec son prénom d’ange, ses visions, qui lui permettent de se trouver à deux endroits en même temps, et son aversion croissante pour l’église, se trouve à une croisée des chemins, entre le bien et le mal.

La mort et le désir planent sur tout le film comme une évidence indissociable. Dès le début, Maria assène le coup parfait à son amant, exactement là où le torero doit frapper pour réussir la mise à mort, juste avant l’orgasme de celui-ci, et jouit ensuite seule sur le cadavre. La caméra s’arrête aussi en gros plan sur les parties génitales suggestivement moulées dans les pantalons serrés des apprentis toreros alors qu’ils s’entraînent, appuyant ainsi le fait que ceux-ci puisent dans l’énergie sexuelle pendant un combat, celui-ci devant se terminer par la mort du taureau.

Diego et Maria sont inexorablement attirés l’un par l’autre, chacune de leur rencontre mêle un désir sexuel incontrôlable et croissant mais également la présence permanente de la mort. Que ce soit lors de leur première rencontre chez lui alors qu’au cours d’une étreinte passionnée elle tente de le tuer, dans son bureau, où par peur de la montée du désir qu’il provoque en elle, elle le menace d’un revolver, ou alors sur ce pont où plusieurs personnes se sont déjà suicidées lors d’une fugitive étreinte. C’est seulement quand elle découvrira le secret de Diego que Maria réalisera qu’elle a enfin trouvé son double et qu’il est alors temps que le désir et la mort s’accouplent enfin. La quasi permanence de la couleur rouge à l’écran, que ce soit depuis le titre du film en passant par les costumes des personnages ou encore lors d’un fondu au rouge, renforce visuellement la dualité de la passion et du sang.

Les femmes dans le film de Pedro Almodovar ont un ascendant sur l’homme et les principales figures masculines du film sont d’ailleurs bancales (Diego et le commissaire boitent) ou totalement soumises à la volonté féminine (Angel). La mère d’Angel est la castratrice personnifiée. Elle est toujours derrière son fils à le surveiller et lui dire ce qu’il doit faire. La critique est toujours sèche et brutale, ne lui laissant aucune chance de développer une personnalité en confiance. Il n’aura pas plus son mot à dire quand il sera en prison car son avocate Maria lui dira alors: "C’est moi qui prend les décisions à partir de maintenant". La maman d’Eva ne se laisse pas plus intimider par les inspecteurs de police qui débarquent chez elle que par le commissaire. Les femmes prennent l’initiative et quand la seule élève féminine invite Diego à une fête, c’est les seins bien bombés, en attaquante. La psychiatre qui s’occupe d’Angel sera plus subtile et utilisera une tendresse accrue envers son patient, n’hésitant pas à l’embrasser pour provoquer la jalousie d’un commissaire qui restera de marbre. Les femmes savent ce qu’elles veulent et n’ont pas l’intention de laisser les hommes leur dicter une conduite qui ne leur convient pas.

Almodovar dénonce déjà une éducation religieuse trop stricte qui empêche une ouverture au monde et ainsi à soi. Ainsi Angel n’a pas le droit d’aller au cinéma, seulement d’aller à l’église et de faire du sport. Sa mère, tellement obsédée par ses principes, n’entend pas l’appel au secours de son fils qui lui demande de l’envoyer chez un psychiatre; un conseiller spirituel est pour elle plus approprié. Quand le commissaire lui prouve que son fils ne peut être coupable, elle répond: "Les voies du diable sont impénétrables". Sa rigidité d’esprit (et par extension celle de l’église) ne lui permet aucune remise en question. Almodovar s’en prend ensuite aux médias et à la superficialité du monde de la mode au cours d’une scène où il interprète d’ailleurs un couturier surveillant les derniers préparatifs avant un défilé. La journaliste venue l’interviewer est sans cervelle et semble plus parachutée sur place que consciente de ce qu’elle doit faire, et le couturier conseille ironiquement à un mannequin en train se faire un shoot d’aller se piquer au toilettes, "qui sont là pour ça", plutôt que dans la salle. Celle-ci se met alors en chemin et vomit sur une robe au passage, vomi qui au lieu d’être nettoyé sera un atout supplémentaire pour la création. La réflexion de la maman d’Eva enfonce le clou: "Tant de génie m’accable!". Un film double donc, qui entraîne le spectateur crescendo sur le fascinant chemin de la séduction, de la perversion jusqu’au-boutiste. Et, contrairement au soleil qui attire la lune dans une étreinte écliptique confondant les deux astres seulement l’espace d’un instant, Maria et Diego vont céder à l’irrésistible élan qui les pousse l’un vers l’autre et définitivement s’appartenir dans l’accomplissement de leur destin.

Distribution

  • Assumpta Serna : María Cardenal
  • Antonio Banderas : Ángel
  • Nacho Martínez : Diego Montez
  • Eva Cobo : Eva
  • Julieta Serrano : Berta Giménez
  • Chus Lampreave : Pilar
  • Carmen Maura : Julia
  • Eusebio Poncela : Comisario del Valle
  • Bibiana Fernández : Vendedora Flores
  • Luis Ciges : Guarda Mariano
  • Verónica Forqué : Periodista

Fiche technique

  • Réalisation : Pedro Almodóvar
  • Scénario : Pedro Almodóvar, Jesús Ferrero
  • Photographie : Ángel Luis Fernández
  • Musique : Bernardo Bonezzi
  • Montage : José Salcedo
  • Production : Andrés Vicente Gómez
  • Sociétés de production : Compañía Iberoamericana de TV, Televisión Española (TVE)
  • Durée : 110 minutes
  • Dates de sorties : 7 mars 1986
    • France : 27 avril 1988
Reproduction possible des textes sans altération, ni usage commercial avec mention de l'origine. .88x31.png Credit auteur : Ann.Ledoux