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Romance film français réalisé par Catherine Breillat, sorti en 1999.

Analyse

L'histoire de Marie, déchirée entre le sexe et les sentiments, entre celui qu'elle désire et celui qu'elle aime. Ou bien encore une histoire d'amour vue comme une question de pouvoir: «Un mec qu'on aime vraiment assez pour être fidèle, il ne vous baise plus. Quand on les trompe, ils vous baisent, c'est simple. Ce n'est pas qu'ils devinent qu'on les trompe, c'est qu'ils comprennent qu'on leur échappe.»

La romance, nous dit le dictionnaire, est au XVIIIe siècle « une pièce poétique simple, assez populaire, sur un sujet sentimental et attendrissant ». A la toute fin du XXe siècle, Catherine Breillat renouvelle le genre de manière radicale : le « sujet sentimental et attendrissant », c'est le sexe féminin. Non pas envisagé sous un angle abstrait, générique, mais au contraire de la façon la plus prosaïque qui soit : le sexe, le trou, le con, un sujet à part entière, vivant, exigeant. Traité avec tendresse, humour et considération. Mais sans détour.

Evidemment, un tel sujet, ça dérange. Et ça révèle beaucoup de choses sur beaucoup de monde : sur celle, cinéaste tout de même assez culottée, qui s'en est emparée ; sur ceux, spectateurs, qui décideront ou non de se colleter avec cette « pièce poétique » ; et sur celui, critique amateur ou averti, qui s'y risque. Mais "Romance" fait fuir certains spectateurs. Certains viennent voir un film comme les autres et découvrent avec surprise un film pornographique ; d'autres viennent voir des scènes de sexe et s'ennuient devant un film froid et intellectuel. Les uns comme les autres quittent la salle au bout de dix minutes.

L'honneur est au coeur de cette « romance ». L'honneur et la honte. Parce qu'elle est entière, Marie refuse d'être aimée à moitié. Ce sexe, que son amant nie, elle veut qu'il occupe dans sa vie la place qui lui revient. Et elle va mettre un point d'honneur à être honorée. Prête sans le savoir à faire ses « classes du sexe », résolue à ne s'épargner aucune expérience, bonne ou mauvaise. Une romance d'apprentissage, en quelque sorte. Une quête héroïque. En tout cas plus obscène qu'érotique, parce que, comme le dit Catherine Breillat, « l'obscénité fait partie du chemin rayonnant du désir et de l'amour ».

Obscène et, malgré le X mensonger de l'affiche, sans le moindre lien avec la pornographie qui, dans son obsession mécanique, s'obstine de façon paradoxale à « déréaliser » le sexe. Ici, chaque scène sexuelle est chargée de désir, d'angoisse, ou de dérision. Et Marie s'y jette à corps perdu. Justement, voici Paolo, premier homme sur le chemin de Marie. Et quel homme ! Paolo, c'est Rocco Siffredi, star du porno, un grand garçon attentionné, disponible et vaillant. Paolo remplit la fonction pour laquelle Marie (et Catherine Breillat) l'a choisi : il l'honore, mais selon ses modalités à elle. Et la petite voix intérieure de Marie commente le résultat.

Car, on s'en doute, il y a chez Catherine Breillat, comme chez son personnage féminin ­ ce sera même l'objet d'un fantasme de Marie, sous forme de cauchemar grotesque ­, une confrontation permanente entre la tête et le corps. Après l'organique Paolo, voici le cérébral Robert. Directeur d'école primaire à ses heures, Robert (François Berléand, comme d'habitude impeccable) est un collectionneur, version Casanova, très fier de l'émission que France Culture lui a consacrée. Comme Marie, Robert prononce des sentences définitives, donc réductrices, voire ridicules, sur les rapports hommes-femmes, un discours ajusté à ses fantasmes. Robert propose à Marie de la ligoter, cela tombe bien, puisqu'elle n'a que faire de la liberté que Paul lui a octroyée. Et cela nous vaut la scène la plus bouleversante de ce film. L'émotion de Marie submerge le rituel fétichiste, sa vérité vient à bout du simulacre. Elle amène Robert sur son terrain, l'oblige à la regarder en tant que Marie, et non comme une conquête parmi d'autres. Il est temps de saluer le culot de son interprète, Caroline Ducey, et son formidable talent, la grâce incroyable qui lui permet de sortir indemne, et même grandie, des scènes les plus scabreuses. Comme si l'actrice faisait le même parcours que son personnage : lorsqu'elle retourne chez Robert, le rituel est cette fois dédramatisé. Le comique de l'appareillage, cordages et menottes, l'humour du discours, désamorcent le trouble de l'humiliation consentie.

Ses monologues, centrés presque uniquement sur le sexe, sont dans le ton du grand monologue de Danièle Lebrun dans "La maman et la putain". Elle montre une conception du sexe assez paradoxale : elle veut se faire violer, mais elle veut choisir comment. Encore plus intéressante est la conception de la relation amoureuse qui se dégage du film, même si elle n'a rien de nouveau (on voit ça tout le temps chez Proust) : un homme ne s'intéresse à une femme qu'à partir du moment où celle-ci s'éloigne de lui, et réciproquement. Ainsi faut-il que la jeune femme trompe le mannequin pour qu'il ait à nouveau du désir pour elle, même s'il ne ressent que confusément qu'elle se détache de lui. L'intellectualité est parfois désamorcée par l'humour, avec les scènes sado-maso où François Berléand, sérieux comme un pape, choisit ses outils, hésite, recommence comme s'il s'agissait de monter une armoire en kit. L'image du même personnage, cynique et détaché, est aussi cassée lorsqu'il se montre le plus attentif à la jeune femme lors de son accouchement.

C'est même une des grandes vertus de ce film. On n'est pas obligé d'adhérer à tout ce qui s'y dit ; d'ailleurs, toutes ces sentences accumulées finissent par s'annihiler. On n'est pas obligé de partager la vision un peu désespérante que Catherine Breillat a des rapports entre les sexes ; d'ailleurs, in extremis, le parcours radical de notre héroïne vire au surréalisme. On n'est pas obligé de suivre ses partis pris esthétiques ; d'ailleurs, cette vision un peu caricaturale ­ le blanc nie le sexe, le rouge l'exalte ­, Catherine Breillat, bien secondée à l'image par le magnifique Yorgos Arvanitis, la sublime avec panache. Mais on est obligé d'en convenir : à défaut de réconcilier les hommes et les femmes, ce film aura réconcilié une femme avec son corps. Et peut-être quelques hommes avec le corps des femmes : « La chose qu'on n'admet pas, dit Marie, on n'en admet pas l'image non plus. L'image vous compromet tout autant, à partir du moment où elle vous représente. » Ce film compromettant, et qui tient ses promesses, en supporterez-vous l'image ?

Distribution

  • Caroline Ducey : Marie
  • Sagamore Stévenin : Paul
  • François Berléand? : Robert
  • Rocco Siffredi : Paolo
  • Reza Habouhossein : Man on stairs
  • Ashley Wanninger : Ashley
  • Emma Colberti : Charlotte
  • Fabien de Jomaron : Claude
  • Pierre Maufront : le photographe

Fiche technique

  • Réalisation : Catherine Breillat
  • Scénario : Catherine Breillat
  • Production : Jean-François Lepetit et Catherine Jacques
  • Musique : Raphaël Tidas et DJ Valentin
  • Photographie : Yorgos Arvanitis
  • Montage : Agnès Guillemot
  • Durée : 84 minutes
  • Date de sortie : 14 avril 1999 (Belgique, France)
  • Film interdit aux moins de 16 ans lors de sa sortie en France
Reproduction possible des textes sans altération, ni usage commercial avec mention de l'origine. .88x31.png Credit auteur : Ann.Ledoux