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Trois visages , film iranien de Jafar Panahi, sorti en 2018?

Analyse critique

Behnaz Jafari, une célèbre actrice iranienne, reçoit la troublante vidéo d’une jeune fille implorant son aide pour échapper à sa famille conservatrice, pouvoir intégrer un conservatoire et devenir actrice. Cette vidéo montre son suicide dans une grotte, suicide que l'on devine simulé, puisque la vidéo a été envoyée. Bouleversée, Jafari laisse son tournage en cours et persuade son vieil ami, le réalisateur Jafar Panahi (dans son propre rôle), de partir enquêter sur le lieu de la tragédie supposée, un village dans les montagnes du Nord-Ouest, près de la frontière turque. Ensemble, ils prennent la route en direction du village de la jeune fille, où on parle surtout azeri (dialecte turc) et où les traditions ancestrales continuent de dicter la vie locale.

Jafar Panahi filme alors que le gouvernement iranien lui interdit de tourner. Il est physiquement assigné à résidence à Téhéran, et ne peut quitter l'Iran. Il y a une énigme Jafar Panahi, et il y a une ambiguïté sur traitement infligé au cinéaste par la République islamique. Sa notoriété, son prestige protègent l’homme de la prison, mais nul ne sait jusqu’à quand. Ce flou et ces contradictions, cette menace qui pèse sur lui, Jafar Panahi en fait la matière de son cinéma. Il ruse avec la réalité comme avec les autorités. Dans Trois Visages, l’actrice Behnaz Jafari, célèbre en Iran pour des séries produites par la télévision d’État, tient son propre rôle, non sans risque pour son statut.

On retrouve quelques ingrédients du grand cinéma iranien moderne, né dans la contrainte, après la révolution islamique de 1979 : le mélange inextricable de fiction et de réalité, qui permet de dire sans dire ; la voiture, qui fait souvent office de discret studio ambulant ; la dénonciation, au moins implicite, du sort fait aux femmes par le régime ; l’ombre du suicide, telle une réponse ultime à une société oppressante. Jafar Panahi est bien l’héritier direct d’Abbas Kiarostami, mort en 2016, dont il fut l’assistant.

Jafar Panahi actualise ses thèmes et ses motifs, les images véhiculées par les téléphones prennent leur place dans les jeux savants de mise en abyme. Et la popularité de l’actrice vient des séries, non du cinéma. Si le réalisateur regarde avec bienveillance, parfois avec une certaine tendresse, ses concitoyens, il pointe l’obscurantisme, le patriarcat, les traditions ancestrales, les villageois se précipitent sur la célèbre comédienne, mais ils s’en détournent dès qu’ils la découvrent progressiste. Un vieux père confie aux deux visiteurs de Téhéran le prépuce, conservé dans du sel, de son fils : il voudrait que la relique parvienne à un acteur viril pour que cette qualité rejaillisse sur le jeune homme. Et il y a, vivant comme une recluse dans une minuscule demeure à l’écart, une chanteuse-actrice du temps du shah, et bannie à ce titre. Dans le plus beau moment, on aperçoit de loin, après la tombée de la nuit, par la fenêtre de la maisonnette, sa silhouette danser malgré tout dans une activité officiellement proscrite.

Jafar Panahi avait tourné son précédent film, Taxi Téhéran? (2015), entièrement à l’abri de son véhicule. Il a, cette fois, une plaisanterie inquiétante, en déclinant une invitation à dormir dans une maison du village : « C’est encore dans ma voiture que je suis le plus en sécurité. » Ce film est encore un plaidoyer pour l’expression artistique, un éloge des actrices dont trois générations sont représentées. Les trois visages du titre sont en effet ceux de trois héroïnes, à différents stades de la vie : Marziyeh, l’adolescente empêchée, Behnaz, la citadine autocentrée, Shahrzad, la vieillarde recluse dont on ne verra jamais les traits. Leur malheur, dit Panahi, est celui de l’Iran, dont l’immobilisme en fait un mort en sursis. Et son 4x4 progresse à travers des sentiers étroits, comme une métaphore exemplaire du chemin qu’il au pays reste à parcourir.

Distribution

  • Behnaz Jafari : elle-même
  • Jafar Panahi : lui-même
  • Marziyeh Rezaei : elle-même

Fiche technique

  • Titre original : persan : سه رخ, Se rokh
  • Réalisation : Jafar Panahi
  • Scénario : Jafar Panahi et Nader Saeivar
  • Photographie : Amin Jafari
  • Montage : Mastaneh Mohajer et Panah Panahi
  • Durée : 100 minutes
  • Dates de sortie : 12 mai 2018 (Festival de Cannes 2018) ; 6 juin 2018 (sortie nationale)
Reproduction possible des textes sans altération, ni usage commercial avec mention de l'origine. .88x31.png Credit auteur : Ann.Ledoux