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Ceci n'est pas un film (این فیلم نیست, In film nist) film iranien réalisé par Jafar Panahi et Mojtaba Mirtahmasb, sorti en 2011

Analyse critique

Le film traite de la difficulté d'être cinéaste en Iran et a été présenté hors compétition au Festival de Cannes 2011.

Face caméra, un homme d’une cinquantaine d’année, pas très bien réveillé, prend son petit déjeuner. La bande-son égrène le craquement du pain, la cuiller contre le pot de miel, la sonnerie du mobile. Mais l’homme ne peut pas parler au téléphone. Il dit à son interlocuteur : « À propos de ce que tu sais… Bon, tu ne peux pas passer plutôt à la maison pour en parler ? » Condamné, par les autorités de son pays, à six ans de prison et à vingt années d’interdiction d’exercer son métier. Assigné à résidence en attendant le verdict de la cour d’appel, il est devenu un « homme empêché ». Avec la complicité de son confrère, le documentariste Mojtaba Mirtahmasb, il veut, à travers une journée dans son quotidien de reclus, tenter de poursuivre son chemin, coûte que coûte. « Nos problèmes sont nos fortunes », énonce Panahi. Ce paradoxe en bandoulière, il s’acharne à dépasser les restrictions, et à garder son cinéma en vie.

Même avec un simple téléphone, Panahi ne peut s’empêcher de filmer. Il reconstruit l’espace de son film rêvé sur le tapis de son salon. Du geste simple de laisser la fenêtre de son balcon ouverte surgit un autre personnage : la ville de Téhéran elle-même, personnage inquiétant, hors-champ dont on n’entend qu’une voix angoissante faite d’éclats de fusées de lumière, comme des coups de feu. Tout autant que l’espace d’enfermement se transforme en un lieu de création et finit par susciter des images fantasmatiques, cette bande son stimule un imaginaire quasi insurrectionnel, prend une ampleur insoupçonnée et se déverse dans une scène finale qui contient tout le film.

Se glissant avec une délectation non feinte dans la faille du jugement, Panahi entreprend de raconter son dernier scénario à la caméra de son ami, « pour que les gens se fassent leurs propres images ». À la joie de le voir s’agiter pour construire l’espace de son film dans son salon succède le renoncement. Le choc entre l’état d’enfermement de Panahi et les images de ses films passés, qu’il attrape et commente fiévreusement, renvoient d’autant plus à sa condition actuelle qu’il questionne le rapport éternel de l’artiste face à son œuvre. Surgissent alors, rétrospectivement, les images d’humiliation de Sang et or (2004) ou la fatigue de faire du cinéma, symbolisée par l’anecdote de tournage de cette petite fille qui refuse d’endosser plus longtemps les habits d’un personnage qu’elle ne comprend pas, dans Le Miroir (1996). De fait, si de son empêchement, Panahi parvient à tirer une histoire profondément cinématographique, c’est qu’il semble mettre à profit cette situation pour décortiquer l’acte de filmer. Qu’il le déconstruit, par la force des choses, et l’analyse non pour en livrer un essai théorique, mais pour le mettre en scène dans un dispositif nécessairement réflexif.

Son espace-prison devient le lieu de déploiement d’un récit qui semble fait de trois fois rien, mais qui dit tout du processus de création. Le rythme s’emballe et cet homme qui se traînait, négligeant la caméra allumée pour elle seule, au début du film, devient un démiurge s’emparant de la caméra de son ami pour faire naître des personnages, comme cet étudiant en arts, ramasseurs de poubelles comme petit boulot, avec qui il revisite le mouvement de l’ascenseur, ou même cet énorme iguane dont la démarche au ralenti vient faire contrepoint à la posture du réalisateur, bloqué dans son canapé. Le film travaille profondément et en parallèle le rapport du filmé et de son filmeur tout comme la naissance presque miraculeuse de personnages comme sortis de nulle part.

La déconstruction, qui était une hypothèse de départ de ce film non identifié, finit par devenir un film, tout court. Nul besoin de lui accoler un qualificatif qui le classerait dans un genre à part. Ceci n’est pas un film est définitivement un film de cinéma qui s’achève dans un fascinant assaut final.

Distribution Jafar Panahi, Mojtaba Mirtahmasb

Fiche technique

  • Réalisation et photographie : Mojtaba Mirtahmasb et Jafar Panahi
  • Scénario, production et montage : Jafar Panahi
  • Durée : 75 minutes
  • Date de sortie : 20 Mai 2011 (Festival de Cannes, hors compétition)

Récompense

  • 2013 : National Society of Film Critics Awards : Meilleur film expérimental
Reproduction possible des textes sans altération, ni usage commercial avec mention de l'origine. .88x31.png Credit auteur : Ann.Ledoux