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Empereur Tomato Ketchup (トマトケッチャップ皇帝, Tomato kecchappu kotei) film expérimental japonais en noir et blanc de Shuji Terayama, sorti en 1971.

Analyse

Terayama dépeint un monde fantasmé où les enfants ont lancé une grande vague de répression contre la figure parentale. Père et mère traqués, parqués dans des camps, faits esclaves, exécutés par des enfants en tenues de soldats, extraits de correspondances entre un enfant et sa mère bientôt arrêtée, adultes se déguisant en enfants, autant de minces motifs narratifs noyés dans une surabondance de métaphores surréalistes.

Comme beaucoup de ses réalisations, le film tire ses racines dans le passé d'artiste polyvalent de son auteur. Au départ Empereur Tomato Ketchup était un feuilleton radiophonique intitulé Otona gari (la Chasse aux adultes) où Terayama, se voulait le pendant japonais du Orson Welles de la Guerre des mondes (Le 30 octobre 1938, veille d'Halloween, Orson Welles et la troupe du théâtre Mercury diffusent une adaptation du roman aux États-Unis, de nombreux auditeurs se sont laissés berner et ont cru que la Terre et Mars étaient en guerre). Terayama jouait au trublion en prophétisant au jour le jour l'arrivée imminente d'une révolution violente fomentée par des enfants tuant ou faisant esclaves leurs parents. Parodie avouée des mouvements de protestations estudiantins contre le renouvellement du pacte de sécurité nippon-américain, la diffusion du programme fut rapidement interrompue après que des protestations virulentes furent émises.

Terayama transporte avec lui toute une conception narrative et esthétique qui prend racine dans ses travaux théâtraux. Produit en indépendant avec l'énergie débrouillarde des pionniers, la troupe se démènent avec un budget faible, tournant souvent en plein lieux publics. Profondément ancré dans son époque, l'esprit frondeur du film reste intact, mais son sous-texte reste indissociable d'un contexte historique dont les résonances avec notre monde contemporain se sont depuis longtemps tues.

Terayama insiste surtout sur l'aspect absurde et parodique de son entreprise. Plus qu'un brûlot révolutionnaire, Empereur Tomato Ketchup reste avant tout une bouillonnante, stimulante et grand-guignolesque expérimentation de théâtre à ciel ouvert fixée sur pellicule. Son découpage en actes, autant de plan-séquences monochromatiques étirés où la caméra-temoin s'immisce dans un persistent monde fantasmagorique. Autant de 'séquences artistiques' autonomes (omniprésentes de l'art sous forme de musiques, danses, symboles,..) sans liens évidents qui s'enchainent nonchalamment et inexorablement avec l'appui de l'omniprésente voix d'un narrateur froid et détaché. Une monde où cruauté et érotisme se mêlent dans une veine prophétique. Une oeuvre qui de par sa nature poétique et son abstraction autorise plusieurs degrés de lecture.

Il n'y pas de scénario à proprement parler, l'influence du théâtre d'improvisation est ici patente. Terayama est en effet particulièrement intéressé par la liberté d'expression de ses protagonistes, il dresse un cadre théorique à ses scènes (lieu, décor et idées générales ) soient autant de 'performances surréalistes' dans lesquels les acteurs sont invités à s'exprimer et se mouvoir librement sans se soucier des dialogues assurés par le narrateur Une démarche qui lui valu quelques débordements non contrôlés de la part de ses soixante-dix enfants-acteurs. Caractéristique typique de l'esthétisme du réalisateur, l'emploi des filtres voilées est systématique, les corps des acteurs en apparaissent presque évanescent, la lumière brute expose même certaines scènes, les encombre de fumée jusqu'à les rendre quasiment illisibles. Ancré dans la réalité, Terayama investit arrières-cours et lieux publics tel cette séquence filmé au téléobjectif où des enfants-militaires au milieu de la foule dessinent des croix géantes sur les murs d'un poste de police.

Empereur Tomato Ketchup regorge de références militaires, réminiscences de la seconde guerre mondiale, ancrant le récit dans une réalité alternative : hymnes martiaux, patrouilles de milices, chansons d'époques, insignes militaires (la croix, symbole du mouvement révolutionnaire, évoquant la croix gammée), discours politique, affrontements métaphoriques (une guerre de frontière représentée par partie de ping-pong où une femme nue ligotée fait office de filet, un absurde combat de pierre-feuille-ciseaux qui semble ne jamais se conclure), spectacles morbides à l'érotisme sous-jacent.

Comme le dit Terayama 'Je ne crois pas en une révolution politique, Je suis plutôt intéressé par une révolution sexuelle qui implique le langage, le toucher, l'écriture'. En effet plus que l'imagerie militariste provocatrice de l'œuvre, Empereur Tomato Ketchup parle avant tout d'une révolution sensorielle. Une exultation et libération des pulsions enfantines face à l'oppression pernicieuse des parents conditionnant l'énergie vitale de leurs progénitures dans le cadre stricte de la morale de la société. Un monde où toutes les icônes doivent êtres rayées de la conscience collective comme le montre la scène d'introduction où une main rageuse barre les portraits de Dostoevsky, Marx, Mao Zedong, Jean Harlow et Machiavelli. Terayama plonge tout entier dans les délices freudiens où les enfant sont ses portes-paroles avoués, sortes de portes drapeaux d'une révolution innocente où les parents sont des figures perverties : les père sont traîtres qui se masturbent, les mères tentent d'engrainer leurs enfants dans leur perversions sexuelles. Une révolution sensorielle et donc forcement sexuelle où les métaphores psychanalytiques abondent : sexualité infantile, viol de la mère par un enfant-soldat, découverte de l'onanisme, homo-sexualité refoulée (une imagerie provocante qui obligea l'auteur à demander et finalement recevoir une dérogation pour la sortie française. Le film fut ensuite interdit.. alors qu'il avait déjà quitté l'affiche).

Si par ce biais, Terayama illustre les dérives d'une révolution violente propice à l'extériorisation des pulsions morbides des êtres, Empereur Tomato Ketchup traite aussi de la futilité du pouvoir en troquant la figure de l'empereur contre celle d'un enfant innocent découvrant 'l'érotisme et le pouvoir de l'uniforme' et s'amusant du pouvoir que lui confère son statut. Voir aussi la scène finale où des enfants se déguisent en s'échangeant des postiches 'Celui qui à la barbe aura le pouvoir' ou encore la scène d'introduction où Terayama détourne malicieusement la Constitution japonaise l'agrémentant d'alinéas saugrenus 'Le Ketchup, nourriture favorite de l'empereur, sera le symbole national' 'L'empereur gardera son chapeau en toute occasion'. Un monde-métaphorique où, par essence, la violence et le pouvoir sont absurdes. Absurde, un mot qui résume bien la tonalité singulière du film. Sérieux dans son propos, Empereur Tomato Ketchup reste avant tout un brouillon iconoclaste non dénué d'humour. La révolution sera forcement permanente puisque quiconque est condamné à grandir, la constitution stipule d'ailleurs 'Par décision de l'empereur, seul un enfant pourra accéder au trône. Celui ci sera tué l'adolescence atteinte'. Terayama s'amusant même à lancer des fausses pistes d'interprétations telle celle d'une relecture pro-communiste.

Distribution

  • Goro Abashiri
  • Tarô Apollo
  • Shiro Demaemochi
  • Mitsufumi Hashimoto
  • Maya Kaba
  • Keiko Niitaka
  • Masako Ono
  • Salvador Tari

Fiche technique

  • Réalisateur : Shuji Terayama
  • Scénario : Shuji Terayama
  • Durée : version courte 27 minutes ; version longue 72 minutes
  • Format : Noir et blanc
  • Date de sortie : 1971

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Reproduction possible des textes sans altération, ni usage commercial avec mention de l'origine. .88x31.png Credit auteur : Ann.Ledoux