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La Jalousie, film français de Philippe Garrel, sorti en 2013

Analyse critique

Le film est né du désir de Philippe Garrel de faire un film sur son père, le comédien Maurice Garrel, décédé en 2011. Avec ses scénaristes Caroline Deruas, Marc Cholodenko et Arlette Langmann, il a imaginé la vie d'un jeune comédien telle qu'a pu la vivre son père. Initialement, Garrel a pensé intituler le film J'ai gardé les anges. Il a finalement choisi La Jalousie en s'inspirant des titres très simples de romans d'Alberto Moravia (Le Mépris, L'Ennui).

Louis quitte Clotilde, avec qui il a eu une fille, pour Claudia . Ils sont tout deux comédiens mais Claudia ne trouve pas de travail et, terrorisée par la pauvreté, elle finira par quitter Louis pour un architecte qui lui assure un confort matériel. La jalousie est un autre mot pour l'amour, c'est une sorte d'onde qui ne cesse de se redistribuer entre les personnages, et dépasse le ping-pong conjugal et étouffant qui plombait les deux précédents films de Garrel.

Comme souvent chez Garrel, l'enfant occupe une place primordiale. La fillette a une relation forte, complice, mutine avec son père. Elle aussi ressent le manque, elle reste accroupie dans le couloir, espérant son retour. Cette obsession de l'amour filial, on la retrouve, aussi, à travers les pères de substitution des héros : deux mentors lettrés qui, le temps d'une scène, réveillent le souvenir du grand Maurice , le père de Philippe.

Par ce décentrement et cette profusion de personnages et de réseaux affectifs, La Jalousie, dominé par un blanc aérien, se fait léger comme une plume. L'histoire d'amour y est ainsi traité par les bords et les digressions : il y a une histoire de sucette, une autre concernant un bonnet, une bagarre sur un lit, un poème qu'on récite et des pieds qu'on lave. C'est par ses creux que le film se déploie, également par une forme de malice qui fait contrepoids à la gravité du romantisme de l'auteur.

En peu de mots, peu d'images, l'affection et le détachement sont saisis simultanément. Une femme qui lave avec tendresse les pieds d'un vieil homme. Louis qui répète son rôle de Britannicus en se rasant, tandis que son épouse, non loin, lit allongée. Une mère seule avec son enfant, à table, qui mange de la soupe en cachant sa détresse. Ce sont autant de moments poétisés du quotidien, de gestes ordinaires filmés dans un superbe noir et blanc . Le film ne s’occupe que des choses vraiment importantes, un reflet dans un miroir, un trafic de confiserie au parc, une certaine manière de sauter d’un petit mur, la place de l’étagère avec les livres. Des fois, la peur devant la vie fait faire des actes qui creusent des gouffres, une fuite, un choc, un coup de feu. Il y a cet impossible très beau qui niche dans cette histoire-là: la tragédie et le drame en même temps.

Le film s'allège paradoxalement en fin de parcours, lorsque Claudia quitte Louis. Garrel se fait plus doux, plus modeste, s'amuse du petit théâtre de la quotidienneté française. Les scènes, orphelines, naviguent hors cadre, Louis rate son suicide, se rend au parc où il mange des cacahuètes avec sa fille et sa sœur. Garrel fait des films comme on complète l'album familial. Le décalage avec le monde actuel se traduit par des moments plus photographiques que narratifs. Visages et objets se voient restituer leur épaisseur, et la durée envoûtante d'un plan fait renouer avec de vieux mécanismes de vision : scruter, contempler, se perdre dans un visage qui vit pour lui-même.

En épousant le point de vue du personnage masculin, le film donne l'occasion à Louis Garrel d'être particulièrement touchant. On ne l'a jamais vu ainsi, aussi présent, dans un film de son père. Rieur, solide, mais anéanti dans ce plan où, sur le trottoir, il reste pé­trifié, muré en lui-même.

Distribution

  • Louis Garrel : Louis
  • Anna Mouglalis : Claudia
  • Rebecca Convenant : Clothilde
  • Olga Milshtein : Charlotte
  • Esther Garrel : Esther

Fiche technique

  • Réalisation : Philippe Garrel
  • Scénario : Philippe Garrel, Marc Cholodenko, Caroline Deruas-Garrel et Arlette Langmann
  • Photographie : Willy Kurant
  • Montage : Yann Dedet
  • Musique : Jean-Louis Aubert
  • Production : Saïd Ben Saïd
  • Société de production : SBS Productions
  • Noir et blanc
  • Durée : 77 minutes
  • Dates de sortie : 5 septembre 2013 (Mostra de Venise, compétition officielle)
    • France : 4 décembre 2013
Reproduction possible des textes sans altération, ni usage commercial avec mention de l'origine. .88x31.png Credit auteur : Ann.Ledoux