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Le Mur invisible (Gentleman's Agreement) film américain réalisé par Elia Kazan sorti en 1947.

Analyse critique

Récemment arrivé à New York où il n'est pas connu, le journaliste Philip Green est chargé par son rédacteur en chef d'enquêter sur un sujet qui risque d'être controversé lors de sa parution : l'antisémitisme dans la société américaine. Expérimenté et consciencieux, veuf vivant avec son fils et sa mère, fragile, Philip est l'homme de la situation. Après avoir travaillé stérilement sur dossier, il encaisse la remarque de son fils : « Papa, c'est quoi, l'antisémitisme ? » , il bafouille, s'empêtre et s'embrouille. Comme personne ne le connaît en ville, il décide de se prétendre juif, Green devenant Grinsberg. La ruse réussit au-delà de ses espérances, bientôt, tous ces Américains bon teint qu'il fréquente, y compris sa nouvelle fiancée, le regardent d'un drôle d'air. Même sa nouvelle secrétaire, juive elle-même, se méfie. Du jour au lendemain, sa vie se complique incroyablement. De petits riens sournois et insidieux le confrontent à une réalité qu'il ne connaissait pas. Les nombreux obstacles qu'on lui impose lui font rapidement comprendre que, loin de se limiter au Vieux Monde, l'antisémitisme ronge sournoisement le Nouveau.

Ce « mur invisible » dont il est question dans le titre fait référence à cet obstacle auquel les Juifs se confrontent au quotidien. Cet obstacle n’a évidemment aucune transposition légale dans l’Amérique d’après-guerre mais, du point de vue du discriminé, la rumeur, la méfiance et la stigmatisation en font des fondements d’autant plus solides qu’ils sont banalisés et intégrés par une bonne partie de la population. Même s’il faut reconnaître que la question de l’antisémitisme n’est pas réglée, soixante ans plus tard, puisqu’elle subit une constante mutation, il est néanmoins intriguant de voir qu’Hollywood a choisi de produire et de consacrer un film traitant de la question seulement deux ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale et quelques mois avant la création de l’État d’Israël. De la part de Zanuck et du tout-Hollywood où l’antisémitisme était tout aussi répandu, on devine aisément un volontarisme didactique motivé par cette nouvelle réorganisation géopolitique, avec cet espoir un peu fou de révéler le spectateur à ses propres contradictions et faire enfin tomber les barrières de l’intolérance.

Avec l’application d’un bon élève, Elia Kazan enchaîne donc les scènes qui surlignent les comportements abjects de ses concitoyens : diminutifs insultants, rumeurs au travail, discrimination dans les hôtels, etc. L’antisémitisme est partout et chacun s’applique à mettre sans réelle conviction son voisin en faute sans qu’aucune remise en question générale ne soit amorcée. Seulement, cette trouvaille scénaristique a aussi ses limites, elle pose une distance théorique puisqu’on n’oublie jamais que le personnage joué par Peck n’est pas Juif, entre le discriminé et le discriminateur, le spectateur ne perdant jamais de vue qu’il s’agit là d’une fiction dans la fiction.

Un personnage rend le film subtil et crédible, celui de Kathy Lacey (interprétée par Dorothy McGuire),nièce aisée du patron du journal, et séduisante jeune femme vers qui le journaliste va jeter son dévolu pour remplacer son épouse défunte. Elle incarne parfaitement l’ambiguïté de ceux qui cautionnent indirectement la stigmatisation en n’assumant aucune prise de position sur cette question. Elle a elle-même suggéré le thème de l'enquête à son oncle, répugne à être considérée comme antisémite mais ne cesse de se compromettre en permanence en émettant de gros signes d’inquiétude dès lors qu’on pourrait l’assimiler à la diaspora juive. Son trouble, intéressant mélange de lucidité et de culpabilité, est probablement celui qui nourrit le film dans sa volonté à dépeindre l’ambivalence de ce mal, indicible parce qu’il finit presque par échapper à la conscience de ceux qui le portent.

Gregory Peck et Dorothy McGuire jouent impeccablement, Elia Kazan filme magnifiquement la gêne subite. Le mépris soudain. Ce silence qui se fait. Et ce visage qui se défait. Bref, le racisme ordinaire et incontrôlé qui frappe jusqu'à ceux qui en sont les premières victimes. Le film fut un événement à l'époque, récompensé par 3 Oscar en 1948, dont celui du meilleur film. Premier gros succès dans la carrière d’Elia Kazan, Le Mur invisible n’en fut pas moins une œuvre peu louée par l’auteur lui-même, même si elle lui apporta la consécration. Projet voulu et très contrôlé par son producteur, l’incontournable Darryl F. Zanuck, Le Mur invisible frôle parfois la démonstration un peu trop didactique.

Distribution

  • Gregory Peck? : Philip Schuyler Green
  • Dorothy McGuire? : Kathy Lacey
  • John Garfield : Dave Goldman
  • Celeste Holm : Anne Dettrey
  • Anne Revere : Mrs. Green

Fiche technique

  • Titre original : Gentleman's Agreement
  • Réalisation : Elia Kazan
  • Scénario : Moss Hart d'après le roman de Laura Z. Hobson
  • Production : Darryl F. Zanuck
  • Société de production : 20th Century Fox
  • Photographie : Arthur C. Miller
  • Musique : Alfred Newman
  • Montage : Harmon Jones
  • Format : noir et blanc
  • Durée : 118 minutes
  • Dates de sortie : 11 novembre 1947
    • France : 24 septembre 1948
  • Récompenses : Oscar 1948 du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur second rôle féminin (Celeste Holm)
Reproduction possible des textes sans altération, ni usage commercial avec mention de l'origine. .88x31.png Credit auteur : Ann.Ledoux