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Sauve qui peut (la vie) est un film franco-suisse réalisé par Jean-Luc Godard en 1980.

Analyse

Denise Rimbaud laisse son travail à la télévision pour aller travailler dans une ferme au bord d'un lac dans la montagne. Elle a besoin de changer de cadre de vie mais elle ne s'imagine pas combien le jeu peut être violent. Son trajet s'intitule : "l'imaginaire". Celui de Paul Godard s'intitule : "la peur". Il a peur de quitter la grande ville où l'on est plusieurs à être seul. Il a peur d'être abandonné par Denise dont il n'arrive pas à suivre le mouvement. Les rapports entre Denise et Paul sont plus souvent violents, comme si deux être civilisés ne pouvaient se toucher qu'en échangeant des coups plutôt que des caresses. Isabelle Rivière représente le milieu entre ces deux personnages. C'est une fille de la campagne qui est venue dans la ville pour se prostituer. Les fantasmes sexuels des hommes représentent beaucoup d'argent pour quelqu'un de résolu à faire payer son corps. Le mouvement vécu par Isabelle s'intitule "Le commerce". Dans la dernière partie , tous les fils sont tissés entre les trois personnages principaux. Des musiciens jouent le thème du film tandis que Paul accroché par une voiture, se tâte et pense qu'il n'est pas en train de mourir puisqu'il n'a rien, vraiment rien.

Ce film, qui décrit les angoisses et aspirations d'hommes et de femmes face à une société qui les broie, s'organise comme une partition musicale composée de quatre mouvements:

  • L'Imaginaire : Après une rupture avec Paul, Denise part à la campagne.
  • La peur : Paul craint la solitude.
  • Le commerce : Isabelle apprend à sa soeur le metier de prostituée.
  • La musique : Après un accident, Paul se meurt et Denise ne le voit pas.

Les émotions sont mises au deuxième plan, et comme interdites par le film. lnterdites mais non absentes : une violence extrême de sentiments passe dans Sauve qui peut. La brutalité, la mechanceté, la cruauté, voire des formes élaborées de sadisme y règnent. Denise frappe Paul et inversement. Paul jette ses cadeaux, des tee-shirts de couleur, au visage de sa fille, l'un après l'autre. lsabelle se fait déculotter et fesser par des macs, pour avoir tenté de déjouer leur racket. Mais Godard préfère montrer des mouvements qu'exprimer des émotions. Le mouvement précède et dépasse l'émotion. Ainsi Paul se jette-t-il, en un ralenti saccadé, sur Denise, à travers la table de leur cuisine. II explique ensuite : « On ne peut se toucher qu'en se tapant dessus ». L 'élan, en l'occurrence l'élan amoureux, est donc figure littéralement par un geste, un mouvement, une action. Le sentiment ne s'exprime pas, il s'agit.

Godard exprime son horreur de la fixation, de la fixation émotionnelle ou sentimentale comme la fixation territoriale : sur le quai de la gare de Nyon, deux motards demandent inlassablement à une fille de « choisir ». lnlassablement, elle refuse de choisir; elle est frappée. Elle a du sang sur la bouche, mais obstinément, farouchement elle répète qu'elle ne veut pas choisir . De même Paul ne veut-il pas choisir entre1 'hôtel où il a ses quartiers et la maison où il pourrait habiter avec Denise. Elle non plus ne veut pas choisir. A lsabelle qui lui demande si ça lui fait de la peine que Paul décide de rester six mois de plus dans son quatre étoiles, elle dit que oui, mais ajoute que ça la ferait sans doute chier qu'il vienne habiter avec elle.

Cette horreur de la fixation est complétée par l'exclusion du retour. II n'y a que du présent, pas de passé, pas d'avenir. Paul, renversé par une voiture, sans doute agonisant, prononce ces mots, étendu sur le bitume, la face tournée vers le ciel : « Je ne suis pas en train de mourir puisque je ne vois pas ma vie défiler devant mes yeux ». Rien ne revient. II n 'y a donc aucune forme de salut, ni de paix. La mort est mate, ne conclut rien, n'arrête rien : pas plus la voiture qui tue que l'ex-femme, que la fille de l'accidenté. Elles passent le long d'un orchestre posté dans la rue et s'éloignent. La musique ne s'arrête pas. Aucune pitié, aucun amour, aucun regret, n'arrêteront une seconde le mouvement du monde sur ce mort : voila la seule certitude.

Dans ce film, les êtres, pour se toucher, doivent se jeter durement les uns contre les autres. Il n'y a que des solitudes qui se croisent et parfois s'entrechoquent dans la nuit. Le troisième mouvement du film, « Le Commerce », rend compte de cette loi. Le terme de commerce signifie à la fois les affaires et la fréquentation, éventuellement charnelle. La prostitution est une synthèse de ces deux acceptions. Les êtres ne bougent et ne se rencontrent qu'au gré de la circulation de l'argent. Radicalement seuls, ils ne sont pas libres pour autant. Personne ne l'est, prévient le mac punisseur pour l'édification d'lsabelle, et il le lui fait répéter, en énumérant comiquement une série indéfinie de professions. La prostitution met le lien social, mais aussi le lien sexuel, à nu. « Ne te fatigue pas » dit Paul à lsabelle qui feint professionnellement d ' éprouver du plaisir .

C'est pourquoi ce film ou les réalités sexuelles jouent un si grand rôle est si radicalement non-érotique. II ne laisse aucune place au moindre trouble, pas d'illusion, pas de mirage, pas de rêve. L 'absurdité comique et vaguement macabre de leurs fantaisies sexuelles est sans justification ni dénégation. « Nous vivons une grande époque historique ou l'acte sexuel se transforme definitivement en gestes ridicules », dit un personnage de Kundera. Les personnages de Godard vont au bout de ce ridicule, avec une froide détermination. On rit à la grande séquence de la partie carrée, mais quelque chose glace le rire, on rit d'un rire gelé, le ridicule est absorbé par l'étrange, par un comique supérieur.

Déclarations

Isabelle Huppert déclare en 1980:
"Avec Godard, vous tournez deux films à la suite, puis plus rien.. Il disait lui-même que Sauve qui peut (la vie) était son second premier film, le début d’une nouvelle période. Je crois surtout que c’est un film où la femme occupe une place différente des ses précédents films. Pour la première fois, il lui donne une conscience plus politique. Elle est au cœur d’un rapport de force qui mène le monde.

Jean-Luc Godard déclare:
« Je ne pense pas que j’ai exprimé grand-chose dans ce film, je pense que j’ai imprimé pas mal de choses. Ce n’est pas simplement un jeu de mots, l’expression dans le domaine plastique passe par l’impression d’abord, on s’exprime de la manière dont on imprime et ensuite ça fait un certain écho, et vous qui avez besoin de vous exprimer mais qui ne le faites pas parce que vous avez un travail ou autre chose à faire, vous recevez ça, vous apportez beaucoup et ça se mélange ».

Distribution

  • Isabelle Huppert : Isabelle Rivière
  • Jacques Dutronc : Paul Godard
  • Nathalie Baye : Denise Rimbaud
  • Roland Amstutz : le second client
  • Cécile Tanner : Cécile

Fiche technique

  • Titre : Sauve qui peut (la vie)
  • Titre anglais : Everyone for himself
  • Réalisation : Jean-Luc Godard
  • Scénario et dialogues : Anne-Marie Miéville, Jean-Claude Carrière
  • Images: Renato Berta, William Lubtchansky
  • Musique: Gabriel Yared
  • Durée : 87 mn
  • Date de sortie : 15 octobre 1980
  • César 1981 du meilleur second rôle féminin pour Nathalie Baye
Reproduction possible des textes sans altération, ni usage commercial avec mention de l'origine. .88x31.png Credit auteur : Ann.Ledoux