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Still the Water ( 2つ目の窓, Futatsume no mado, litt : La Deuxième Fenêtre) film japonais de Naomi Kawase, sorti en 2014

Analyse critique

Sur l'île d'Amami, située à mi-chemin entre Kyushu et Okinawa, les habitants vivent en harmonie avec la nature, ils pensent qu'un dieu habite chaque arbre, chaque pierre et chaque plante. Un soir d'été, Kaito découvre le corps d'un homme au dos tatoué, flottant dans la mer. Sa jeune amie Kyoko va l'aider à percer ce mystère. Ensemble, ils apprennent à devenir adulte et découvrent les cycles de la vie, de la mort et de l'amour.

Still the Water est né du deuil de Naomi Kawase qui a perdu sa mère adoptive avant de préparer ce film. Dans son précédent film, la nature avait des émotions, les montagnes tombaient amoureuses, la pluie déclenchait sa colère sur les humains. Ces derniers semblaient minuscules, leurs amours et leurs drames devenaient presque abstraits au regard de l'immensité de la nature. La nature est toujours aussi présente dans Still the Water mais la réalisatrice se recentre sur la place de l'humain, sur la vie et sur la mort.

Le film est construit comme un récit d'apprentissage de deux jeunes gens. Kyoko, la jeune fille, vit des moments douloureux : sa mère, atteinte d'une grave maladie, va bientôt mourir. Se sachant condamnée, celle-ci demande à revenir chez elle, où on l'installe dans une pièce ouverte sur la mangrove, sur le ciel bleu, sur les esprits des morts. Bercée par les chants que viennent danser, rassemblés à son chevet, amis et voisins, lovée dans l'amour de sa fille et de son mari, elle se sépare du monde en douceur, donnant le sentiment de se dissoudre dans la nature, heureuse soutient-elle. Quand viendra le temps de dire au revoir, la famille et les amis réunis interpréteront joyeusement la « danse d'août », manière sur cette île d'accompagner le partant vers la mort.

Le problème existentiel de Kaito est d'un genre différent : ses parents sont séparés, il vit avec sa mère sur l'île, tandis que son père, un artiste tatoueur, s'est établi à Tokyo. La vie et la mort ont toujours été des thèmes chers à la réalisatrice, toujours un peu entourés de mystère. La disparition du frère dans Shara est aussi merveilleuse que l'apparition d'un amour défunt au creux de La Forêt de Mogari. La mère de Kyoko est chamane, elle ne peut, dit-on, pas mourir. Mais les dieux meurent aussi. La mort est parfaitement concrète dans le film, pour s'en rendre compte, Kyoko observe l'égorgement d'une chèvre par un vieux sorcier et la jeune fille pourrait presque voir l'âme de celle-ci s'envoler.

Après la mort de sa mère, le deuil de Kyoko s'apparente à un double mouvement d'héritage et d'apprentissage, un processus d'assimilation du savoir, et de la force, que lui a transmis sa mère. Elle les met à l'épreuve en se faisant initiatrice de l'amour pour le jeune Kaïto, prêtresse qui accorde le rythme de leur union à celui de la nature. Naomi Kawase rappelle à quel point il est essentiel de tenir compte non seulement du savoir, mais aussi des erreurs de ceux qui nous ont précédés. Combien de temps les splendides forêts d'Amami et les fonds sous-marins qui l'entourent demeureront-ils à l'abri de la cupidité des hommes ? A la fin du film, une machine dotée d'une mâchoire gigantesque entreprend de déraciner des arbres. Peu importe les cycles de la nature, d'un bruit sec, les dieux meurent un à un.

Naomi Kawase a calé son scénario sur les caprices de la nature, conçu sa mise en scène pour en magnifier la splendeur avec la puissance des vagues déchaînées, les ondulations des racines de palétuviers, la douceur apaisante des collines qui s'étendent à perte de vue, la délicatesse secrète du moindre insecte, ou du plus petit caillou blanc, mais aussi l'éclat du sang qui jaillit sur le pelage blanc de la chèvre.

Dans ce conte poétique, la tendresse et la cruauté apparaissent comme les deux faces d'une même médaille, les notions de bien et de mal sont balayées au profit d'une soumission à l'empire d'une nature divinisée. Mais nul n'est obligé de vivre dans une île lointaine. Lorsque Kaïto va voir son père à Tokyo, celui-ci lui explique qu'il faut vivre en harmonie avec son milieu, qui est, pour lui la foule dense de Shinjuku.

Sourire en coin et canne à pêche en bandoulière, Papi Tortue observe la jolie Kyoko. Aime, sois libre, mais reste humble par rapport à la nature ; ne tente pas de lui ressembler. Sachant qu'un jour, nous tous, rentrerons chez nous, pour l'éternité. Devant ce grand tourbillon d'éléments déchaînés qu'elle met en scène, les enfants dévalent les routes de campagne à deux sur un vélo, deviennent poissons au contact de l'eau. La réalisatrice ne propose pas une vision extatique et naïve des choses de la vie. La complexité, parfois même la violence, de certains rapports intimes sont tout sauf édulcorés, comme dans la scène, où, après la tempête, Kaïto retrouve sa mère dans un bar de l'île.

La part de magie et de surnaturel, issue des croyances les plus anciennes du Japon et que la cinéaste insuffle en réactivant les traditions séculaires des petites îles, n'entame en rien la portée universelle du film, sa profonde vérité. S'affranchir des contraintes du naturalisme rationnel lui permet de regarder la mort en face, sans jamais se départir de l'émouvante pudeur qui caractérise son rapport au monde.

Distribution

  • Nijirô Murakami : Kaito
  • Jun Yoshinaga : Kyoko
  • Tetta Sugimoto
  • Miyuki Matsuda
  • Mieko Watanabe
  • Jun Murakami : père de Kaito
  • Hideo Sakaki
  • Fujio Tokita

Fiche technique

  • Titre original : 2つ目の窓, (Futatsume no mado, litt : La Deuxième Fenêtre)
  • Titre international : Still the Water
  • Réalisation : Naomi Kawase
  • Scénario : Naomi Kawase
  • Photographie : Yutaka Yamazaki
  • Montage : Tina Baz
  • Musique : Hasiken
  • Durée : 110 minutes
  • Date de sortie : 20 mai 2014 (Festival de Cannes)
    • Japon : 26 juillet 2014
    • France : 1er octobre 2014

Scène de tournage, avec à gauche, Naomi Kawase

Reproduction possible des textes sans altération, ni usage commercial avec mention de l'origine. .88x31.png Credit auteur : Ann.Ledoux